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Etiquettes: Arthropoda, Arthropodes, hématophage, Insecta, Insectes, Parasite, Parasitisme, Poux, Psocodeas
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« Être biologiste, c’est protéger les sales bestioles, car être biologiste, c’est être conscient de leur importance ». C’est beau, non ? Lorsque j’ai entendu cette phrase lors de mon premier cours de biologie, j’en ai presque eu la larme à l’œil. Mais force est de constater que non seulement certaines bestioles ne servent à personne, mais qu’en plus elles enquiquinent et bousillent la vie des autres.

Ils piquent vos ressources vitales sans aucune forme de respect.
Avec ça, vous avez une superbe illustration de ce qu’est un parasite : une bête qui vit aux dépens d’une autre. Dans les formes de parasitisme les plus extrêmes, il s’agit d’un être vivant dont la survie n’est possible que grâce à l’existence d’un autre être vivant, qui lui n’en a absolument pas besoin (à ne pas confondre, donc, avec une situation d’interdépendance, comme la symbiose).

L’utilité des vers solitaires dans la nature reste encore à démontrer.
Parlons des Psocodeas . Derrière ce nom barbare se cache l’un des plus grands fléaux du monde, celui qui ferait pâlir n’importe quelle institutrice de maternelle : le pou. Et comme ici on ne fait pas les choses à moitié, on ne va pas traiter que des poux de l’homme mais bien des poux en général.
Qu’est-ce qu’un pou ?
La première chose qu’il convient de faire quand on veut parler d’un être vivant, c’est de définir la famille à laquelle il appartient (sa phylogénie). Les biologistes ont pris l’habitude de classer les êtres vivants par rapport à leurs caractéristiques héritées d’un ancêtre commun : plus deux espèces sont proches d’un point de vue phylogénétique, plus elles ont de chance d’avoir conservé des caractéristiques communes. Les Psocodeas sont des arthropodes, c’est-à-dire qu’ils possèdent, entre autres, des pattes articulées et un système nerveux ventral. Ils sont aussi des insectes : leur corps est composé de trois parties, et ils ont 6 papattes (comme les fourmis).
En février dernier, une équipe de chercheur a prouvé que le groupe des poux, tel qu’on le concevait jusque là, était incorrect, en y ajoutant tout un tas d’espèces (les anciens psocoptères). Etant donné que le débat fait encore rage, nous allons uniquement nous concentrer sur les poux parasites. Les poux sont des bestioles qui ne vivent que sur les parties externes de leurs hôtes : des ectoparasites (par opposition aux endoparasites, qui vivent dans vos bides, comme nos amis les vers solitaires)

La famille des poux parasites a pendant longtemps porté le nom de «phthiraptère», et si l’on s’attarde sur son étymologie, on comprend que nos bestioles partagent tous une même caractéristique : ils sont dépourvus d’ailes (phteir-aptera : pou-sans ailes !).

Ce qui est souvent source de discriminations au sein des insectes
On peut distinguer les poux grâce à leur mode de nutrition (suceurs ou masticateurs) ce qui donne les groupes suivants: les Anoplures et les Mallophages. Cependant, le groupe des mallophages ne forme pas un groupe correct d’un point de vue phylogénétique et des débats font rage parmi les chercheurs pour débroussailler l’arbre de parenté des Psocodeas. Pour compliquer les choses, au groupe des Anoplures, s’ajoute trois familles aux noms imprononçables : les Amblyceras, les Ischnoceras et les Rhyncophthirinas.

Ça fait beaucoup de familles tout ça, on se croirait dans Game of Thrones
Les poux suceurs (Anoplures) :
Le pou suceur est le pou par excellence des mammifères : on en recense près de 540 espèces, dont ceux de l’Humain! Selon les espèces et au stade adulte, il a une taille comprise entre 0,5 et 8 mm. Il a 6 pattes dotées d’une griffe leur permettant de s’accrocher fermement aux poils et cheveux de leur hôte.
Il possède une tête bien plus étroite que son thorax : lorsque tu étais enfant et que tu t’amusais à faire un bonhomme de neige, tu faisais bien en sorte que tes trois boules soient de largeurs différentes, que tu superposais ensuite ? Il n’est pas aussi gros qu’un bonhomme de neige et lui ressemble encore moins, mais c’est un bon moyen de le visualiser.
Les poux masticateurs ( les Mallophages) :
Chez les bons vieux poux masticateurs, qui ne forment pas un groupe correct d’un point de vue phylogénétique, la taille peut varier entre 0,8 et 11 mm (ils sont donc un rikiki plus grand que leurs compères). Les femelles sont plus larges de 20 % que les mâles. La plupart des espèces des Amblyceras et des Ischnoceras sont des poux que l’on trouve sur les oiseaux, tandis que les Rhyncophthirinas sont des poux que l’on trouve chez les éléphants, les phacochères et les potamochères (donc sur des mammifères).

Je comptais vous dessiner un potamochère mais vu la tête du machin, vous ne m’auriez jamais cru.
Les poux masticateurs ont pour la plupart des têtes qui sont aussi larges que le reste de leur corps, ce qui permet à ces poux d’acquérir un meilleur accrochage aux plumes des oiseaux lors du vol mais aussi une plus grande résistance face aux techniques de toilettages de leur hôte.

La taille de la tête par rapport au thorax est un moyen simple de différencier poux suceurs et masticateurs.
Leur thorax supporte une partie du système respiratoire et trois paires de pattes, dont chacune est constituée de deux griffes. Ce thorax est composé de trois parties chez les Amblyceras, et de deux chez les Ischnoceras (ceci est dû à une fusion entre deux de ces parties).
Les Amblyceras possèdent des antennes en quatre parties (parfois 5), contrairement aux Ischnoceras et Rhyncophthirinas qui eux sont dotés en général d’antennes en trois parties (mais surtout plus longues).
Maintenant, vous êtes franchement calé sur les différents types de poux, je suis sûr que vous pourrez briller en société, avec de telles anecdotes.

Parler des poux durant un rencard fait toujours très bonne impression
S’il y a une chose à retenir, c’est que, grâce à une accumulation d’adaptations, nos amis les poux sont morphologiquement et physiologiquement adaptés aux êtres qu’ils parasitent et à leur micro-environnement. Ce constat, il est observable pour tous les parasites, et c’est ce qui les rend aussi coriaces. On trouve des poux qui sont plus agiles que d’autres, capables de se déplacer très vite sur la peau de leurs hôtes, et d’autres, plus larges, aptes à glisser entre les plumes ou les poils.
Selon une étude publiée dans le Journal Of Parasitology (oui, il existe des journaux spécialisés dans le parasitisme), on a plus de chance de rencontrer des poux masticateurs dans la nuque, la tête, le dos et les ailes des oiseaux. De même, les poux vont être différents selon les mammifères, ou encore les régions qu’ils parasitent : par exemple, le pou crabe (Pthirus pubis pour les intimes, ou morpions pour casser l’ambiance) est un parasite de l’homme, qui vit dans la région pubienne, est moins rapide que le pou de tête.

Avec une vitesse de pointe de 0,5 cm/s, le pou de tête est un peu le Usain Bolt des poux
Mode de vie
Nutrition
Alors que certains groupes de poux se nourrissent exclusivement de sang (Anoplures et Rhyncophthirinas), d’autres aiment avoir une alimentation plus équilibrée, et, si boire du sang ne leur est pas désagréable, ils préféreront se nourrir des particules(par exemple de très ragoûtantes peaux mortes) émises lors du grattage des plumes, qu’ils effectuent grâce à leur mandibules (la plupart des Mallophages sont concernés).
Un peu comme chez l’humain, la morphologie interne des poux est dominée par le système digestif : œsophage, intestin, rectum. Mais ce tube digestif est aussi composé d’organes propres aux insectes, comme le mésentéron (qui permet la digestion des aliments) ou le jabot (poche entre l’œsophage et le gésier où la nourriture peut être stockée et d’où elle peut être régurgitée). Le jabot est plus ou moins grand selon le type d’alimentation : si c’est du sang, il va être très peu développé, tandis que si c’est de la peau, il sera large et développé.
Les mandibules des mangeurs de peau permettent de couper ces particules, donc de les mâcher. Une fois mâchées, elles vont être avalées.
Les buveurs de sang possèdent des pièces buccales adaptées au fait que leur aliment principal soit le sang. Chez les Rhyncophtirinas ces mandibules, des os en forme de fer à cheval formant le squelette de la mâchoire inférieure, vont couper la peau de leur hôte afin de provoquer un saignement leur permettant de se nourrir. Chez les Anoplures, ces pièces buccales sont acérées, donc, pointues et tranchantes, afin de pouvoir percer la peau et sucer le sang.

Les poux sont des petits Dracula ambulant
Ces poux peuvent sucer une quantité de sang allant jusqu’à trois fois leur poids et ce chaque heure. Ils ne peuvent pas survivre s’ils ne se nourrissent pas pendant deux jours.

Et trois fois son poids, ça fait beaucoup.
Reproduction
Les poux ont un appareil génital large et complexe. Les mâles Amblyceras possèdent trois paires de testicules alors qu’on en trouve deux paires chez les autres.
Les femelles possèdent des ovaires contenant des œufs pouvant être à des stades différents de développement. Lors de l’accouplement (qui dure jusqu’à 4 heures), le mâle va déposer son spermatophore, une capsule contenant le sperme, qui pourra être utilisé par la femelle jusqu’au prochain accouplement.
Et niveau accouplement, ils ne chôment pas : un mâle peut s’accoupler avec 18 femelles à la suite, et sans boisson énergisante. Une femelle enceinte va sélectionner des zones où la température sera propice au développement de ses œufs, et surtout une zone où ils seront à l’abri. Ainsi, le pou humain colle ses œufs à la base de nos cheveux, tandis que celui du mouton dépose sa progéniture à 6 millimètres de la peau de l’hôte.
Les nouveaux nés passeront par trois stades avant d’atteindre le stade adulte, et ce, en seulement deux semaines.

La mue fait office de transition entre les trois phases de développement
Un pou humain adulte peut produire près de six œufs par jour, tandis que ceux qui parasitent les animaux du bétail peuvent produire deux œufs par jour.

Sachant qu’un pou adulte peut vivre 1 mois, il a la possibilité de pondre près de 300 œufs au cours de sa vie. C’est un rythme à tenir !
On dégage ici une nouvelle caractéristique des poux, et des parasites en général : leur nutrition et leur mode de reproduction sont tellement adaptés à leur hôte que cela les rend souvent dépendants. Les générations de poux ont ainsi accumulé, au cours de l’évolution, des adaptations permettant de résister à des hôtes hostiles à leur survie : ils sont dépendants de leur plus grand ennemi. N’est-ce-pas poétique ?
Résistance
Résistance
Au fil des millions d’années d’évolution, nos amis les psocodeas ont su développer une résistance extrême face aux conditions climatiques. Bien que les poux n’aiment pas les variations de température, tant que ces derniers sont en contact avec la peau de leur hôtes, ils peuvent survivre à des températures comprises entre 90°C et -110°C. La peau étant un excellent thermorégulateur, peu importe à quelle température on se trouve, ils survivront.
Oh, vous pouvez essayer de les noyer : ils sont capables de créer une bulle d’oxygène afin de survivre sous l’eau : le record d’apnée d’un pou est de 18h.
Dans les années 90, les scientifiques ont découvert une nouveau type de pou, capable de résister aux produits insecticides que nous utilisions pour nous en débarrasser. Et c’est ça qui est assez terrible avec ces parasites : ils ont toujours une longueur d’avance, et si on veut un jour s’en débarrasser définitivement, il va falloir être très inventif.
Comme vous pouvez vous en douter, il y a de nombreuses recherches sur le sujet. Après avoir étudier la morphologie des poux de l’homme en particulier, des chercheurs ont réussi a mettre au point des shampoings ayant la capacité de boucher les spiracles que l’on trouve sur leur corps, les empêchant de respirer. Une superbe occasion pour créer des mutants qui respirent par les fesses.
Conclusion

L’hypothèse selon laquelle les poux seraient des cyborgs venus du futur convainc de plus en plus de chercheurs. À creuser.
Les poux sont des parasites redoutables. Qui aurait cru que de si petites choses pouvaient avoir la capacité de pourrir notre vie, et celle d’autres animaux? Maintenant, vous savez que nos 4 « grandes » familles de poux ont le même objectif : SURVIVRE, et ce, au détriment des hôtes qu’ils envahissent. Bien qu’ils ne dépassent pas les 11 mm, ce sont des bêtes dotées d’une morphologie complexe et développée. Et, comme si ce n’était pas suffisant, ils sont des machines de guerre sur pattes, se reproduisant à une vitesse folle, et dotées d’une résistance sur-développée. Le meilleur conseil que nous pouvons vous donner, c’est de ne pas vous en approcher.
Références
Image du potamochère : (libre de droit).
Johnson, K. P., & Clayton, D. H. (2003). The biology, ecology, and evolution of chewing lice. Illinois Natural History Survey Special Publication, 24, 449476. M. J. Lehane(2005) .
The Biology of Blood-Sucking in Insects. 2nd Edition. TRIVEDI M. C., RAWAT B. S. and SAXENA A. K.1991.
The distribution of lice (Phthiraptera) on poultry (Gallus domesticus). International Journal for Parasitology 21: 247249.
Jessica E Light, Vincent S Smith, Julie M Allen, Lance A Durden, David L Reed (2010). Light et al.: Evolutionary history of mammalian sucking lice (Phthiraptera: Anoplura). BMC Evolutionary Biology 10:292.
On n’est pas que des cobayes #cobayesf5 (2014). Les poux sont-ils invincibles ?. France 5 , vidéo youtube.
Recherche d’information et synthèse : Anissa Bendifallah.
Co-écriture de l’article : Anissa Bendifallah et Tristan Grausi.
Illustrations et mise en page : Tristan Grausi.