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A la découverte d’un sixième sens.

La vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher… Et rien de plus ? Sommes-nous tous doués de 5 sens ou existe-il des sixièmes sens ? Vous connaissez peut être le sonar des Bélugas ou l’écholocation des chauves-souris (voir le billet Chiroptères : MYTHE, MORSURE, SANG, VICES de N.VOINCHET,P.PETREAULT). Quand est-il de l’électroréception ? Qu’est-ce que l’électroréception ? Qui possède ce 6ème sens ? Et comment ça fonctionne ? On à la réponse à vos questions !

A la découverte de l’électroréception.

C’est la capacité de détecter des faibles champs magnétiques, que ce soit sous l’eau ou sur la terre ferme… Sur cette dernière, certains vertébrés comme les échidnés (petits mammifères vivants en Océanie et ressemblant à des hérissons) pratiquent une électroréception différente de celle pratiquée dans l’eau douce par les ornithorynques

et différente de celle dans  l’eau de mer. En effet les pratiquants de l’électroréception sont nombreux, comme par exemple certains chondrichtyens (poissons cartilagineux) tels les raies et les requins. Entre les deux milieux, eau de mer et eau douce, on pourra aussi trouver des actinoptérygiens tel-que l’anguille qui est aussi doué de ce sens.  

Alors pas la peine d’essayer d’imiter la raie ou l’ornithorynque : Homo sapiens ne peut pas détecter de champ magnétique… Et oui Magneto, rentre chez toi, tu n’es pas crédible ! En revanche les humains sont bien des électro-émetteurs: à vrai dire, tout animal émet un champ magnétique dû à l’activité électrique du système nerveux et des muscles ;

Et c’est cette activité que détectent nos héros: Sharsky et Rutch,

Sharsky, le grand dragueur et Rutch, le penseur, font donc partie du groupe des poissons cartilagineux: les chondrichtyens. En plus, ils partagent le même superpouvoir: l’électroréception, cette sorte de 6ème sens. En revanche, au sein des poissons cartilagineux, ils ne font pas partie du même taxon: ils appartiennent à des branches différentes dans l’arbre de parenté de ces animaux

Il a été prouvé que certaines espèces aquatiques sont incapables de chasser sans le sens de l’électroréception, telle que l’anguille que nous avions évoqué plus haut. En effet, à l’aquarium de New York, les scientifiques R.T.Cox puis quelques années plus tard, W.Coates, ont eu la “superbe” idée d’enduire la tête des anguilles (là où se trouvent leurs récepteurs) de peinture isolante afin de bloquer tout champ électrique. Les résultats furent concluants : les anguilles étaient incapables de chasser ni même de détecter une proie juste sous leur nez.[1] Tout pousse à croire que si l’on réalisait cette expérience chez Sharsky et Rutch, ils seraient aussi désemparés…

Des chercheurs de l’université de San Diego ont mené des expériences et ont pu constater que le requin est capable de trouver un poisson vivant enfoui sous le sable (en effet ce dernier émet des signaux électriques en respirant et avec les battements de son cœur). A l’inverse, lorsque le poisson caché sous le sable est mort, le requin est incapable de le dénicher, en raison de l’absence des émissions électriques. Pour confirmer la spécificité des champs électriques dans la chasse, les chercheurs ont finalement placé des dispositifs électriques sous le sable et, comme attendu, le requin les a immédiatement trouvés.

Ainsi ils ont pu en conclure que ce prédateur marin est parfaitement capable de discerner sa proie grâce aux champs électriques dans des eaux troubles où la vision n’est d’aucun secours. [2]


Les recherches du professeur S.Collin (Université d’Australie-Occidentale) ont démontré une fonction inattendue de l’électroréception retrouvée principalement chez les raies armées : elles l’utilisent pour évaluer le potentiel reproductif du sexe opposé ! Elles distinguent donc si ce dernier est un « partenaire de jeu » ou un danger, comme un éventuel prédateur. [10]

De plus certains bébés requins semblent utiliser l’électroréception pour se protéger des prédateurs. En effet, les champs électriques induisent une réponse d’immobilisation chez le requins-chabot alors qu’ils sont encore dans l’œuf. Leurs émissions sont ainsi diminuées afin de ne pas pouvoir être perçue par le prédateur. [10]

Pas seulement! En effet, la perception des signaux électriques est tellement sensible chez les chondrichtyens  qu’elle leur permet de détecter des appareils électriques. C’est ainsi que les plongeurs s’équipant d’appareils photos et de caméras se retrouvent rapidement nez à museau avec les raies et les requins et que ces derniers viennent s’y heurter. Des scientifiques ont également démontré que cette capacité était si sensible et si omniprésente que, dans sa zone d’efficacité optimale, l’électrorécéption peut dans certains cas court-circuiter le reste des sens de l’animal : c’est ainsi qu’il a été observé que ce dernier se jettera sur un leurre électrique plutôt que sur un appât juste au moment d’attaquer.

Cette faculté – l’électroréception – est assurée par les ampoules de Lorenzini (découverte en 1678 par le naturaliste ichtyologue italien Stefano Lorenzini) qui fut le premier à les avoir observées sans alors vraiment savoir de quoi il s’agissait. Il en préleva une substance gélatineuse (qui est une substance conductrice essentielle à la fonction de l’électroréception). Lorenzini n’en comprit pas l’utilité, sachant que le phénomène de l’électricité commençait à peine à être compris.

Ces ampoules contenues dans des pores au niveau du museau des squales (requins) ou des batoïdes (raies) ont une structure similaire chez l’ensemble des chondrichtyens à savoir une gaine de cellules entourant un gel extrêmement conducteur aboutissant à un bulbe où se trouvent les cellules sensorielles. Ces dernières sont reliées à des terminaisons nerveuses dont l’ensemble ira directement jusqu’à la partie supérieure du cerveau. Comment savoir qu’il ne s’agit pas là de simples glandes sécrétrices me direz vous ? Et bien le type d’innervation au niveau supérieur du cerveau est une caractéristique des organes sensoriels.[5]

La distribution et le nombre des ampoules de Lorenzini varient d’espèce en espèce : On n’en compte pas moins de 2052 chez le requin Bouledogue (Carcharhinus leucas) -Oui, oui 2052 “points noirs”-

 

Schéma d’une ampoule de Lorenzini de type eau salée

Les ampoules de Lorenzini permettent aussi de mesurer la salinité de l’eau et la température : la fréquence des influx nerveux augmente quand la température diminue, permettant jusqu’à détecter des variations de 0,2 °C ![6]
Elles permettent aussi, et principalement, de détecter et d’analyser le champ magnétique terrestre et le champ électrique de son environnement. Ici, la fréquence varie en fonction de l’intensité et de la polarité du champ : elle diminue quand le pôle positif du champ s’approche du pore d’une ampoule et augmente lorsque c’est le pôle négatif.[7] L’animal peut alors avoir une idée de sa position et celle de ce qui l’entoure. Une détection aussi précise, associée à l’importance de la température de l’eau, est aussi primordiale pour la migration comme pour la chasse.[8]

Ces structures sont étroitement liées à la ligne latérale, un organe sensoriel logé sur le flanc de l’animal, composé de neuromastes, structures constituées de cellules ciliées et responsables de la mécanoréception (perception des flux mécaniques dans l’eau).  Cette ligne agit un peu à la façon d’un détecteur de déplacement en percevant le moindre courant dans l’eau et la vibration qui en résulte. Ce système semble doubler l’ouïe pour la perception des basses fréquences et joue par ailleurs un rôle déterminant dans l’équilibre du requin.[9]

Le gel, dans les ampoules de Lorenzini, contient des anions (-) et des paires de cations (+) entourés d’eau. Un couple d’ion négatif et positif forme un dipôle créant un courant électrique. Pour modifier ce champ électrique, il suffit de modifier la position des ions entre eux (de l’ordre du nanomètre).
Il a été récemment montré que ce gel a la plus haute conductivité comparé à n’importe quelle matière biologique connue ![10]

-C’est donc en se tenant au courant que Sharsky et Rutch arrivent à trouver le suspect-

Pour les plus aguerris :

[12] En 2017 des chercheurs de l’université de Californie, San Francisco (UCSF) ont analysé les cellules électro-sensorielles de petits requins (Leucoraja erinacea), des cellules calciques. Ils ont découvert que le réseau de ces cellules calciques travaillent en harmonie avec un réseau potassique et que le tout est capable de s’organiser pour détecter d’infimes signaux électriques. Selon N.Bellono (Graduate Programs – UCSF) c’est la première avancée majeure dans la compréhension au niveau moléculaire de ce mécanisme complexe.[12]

D’après le docteur H.Zakon (université du Texas) « On sait depuis près de 40 ans que les deux canaux ioniques sont utilisés par les requins […] mais ce que l’on ne savait pas était le niveau de sensibilité des récepteurs »

Une fois les difficultés techniques pour isoler les cellules contournées, Bellono a mesuré les courants ioniques en réponse à différentes stimulations mais n’a pas constaté d’amplification des petits signaux par les canaux. L’équipe a par la suite poursuivi sur des expériences étudiant l’expression des gènes pour confirmer la présence de réseaux calciques et potassiques spécifiques parmi les cellules.

Finalement les chercheurs ont utilisé des drogues pour bloquer ces canaux chez plusieurs requins et ont comparé leurs aptitudes à la chasse par rapport à celles d’individus sauvages de références, non modifiés. L’équipe a par la suite caché des dispositifs électriques sous le sable de l’aquarium. Ils ont observé alors les requins « sauvages » détectent le signal alors que ceux drogués en sont incapables. « Dans un monde parfait vous auriez utilisé la génétique en inhibant le gène d’intérêt et en vous demandant comment vous auriez affecté ce comportement mais nous ne pouvons pas le faire chez ces requins donc on a utilisé la pharmacologie » (D.Jullius – responsable du département de physiologie – UCSF)

« C’est passionnant, car cela démontre un mécanisme de modulation qui ajuste la sensibilité des cellules électro-réceptrices au stimulations qui intéressent l’animal. » (C.Braun – Hunter College – New York) [12] [13]

 

« Grâce à des capteurs sensoriels [ampoules de Lorenzini] situés sous le museau, ils [les requins] peuvent détecter des champs magnétiques et sont ainsi capables de se diriger directement vers leurs proies. Lorsque vous les caressez à cet endroit-là, ils se figent sur place et vous pouvez en faire ce que vous voulez ou presque. C’est ce qu’on appelle l’état d’immobilité tonique. » Rob Stewart (réalisateur).

Immobilité Tonique chez les requins, un exploit réalisé par le plongeur Riccardo Sturla Racconti

Immobilité Tonique chez les requins, un exploit réalisé par le plongeur Riccardo Sturla Racconti

Si vous voulez en savoir plus sur la transe des requins cliquez ici !

Références :

  1. Harvey-Girard, E. (2005). Électroréception : l’électronique dans la peau.; Apteronote.
  2. Fields, R.D. (2014) Shark use ESP. Brainfact.org
  3. Dany Hochmuth. Les raies : Etude sur ces animaux, via : http://blog.cpi-plongee.fr/Documents/Bio/raies.pdf
  4. ARTE. (2017) Proie ou prédateaur : Le REQUIN MARTEAU via: http://www.dailymotion.com/video/x4a828_predateurs-le-requin-marteau-excel_animals
  5. Genten, F., Terwinghe, E., & Danguy, A. (2011). Histologie illustrée du poisson. Editions Quae.
  6. Fields, C. (2017). Le sixième sens du requin. via http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-le-sixieme-sens-du-requin-19420.php
  7. Brown, B. R. (2002). Modeling an electrosensory landscape. Journal of Experimental Biology, 205(7), 999–1007.
  8. Winkler, M. (2007). Modelling electrosensory systems in sharks. University of Otago, Department of Physics – Electronics Program. http://www.stat.physik.uni-potsdam.de/~mwinkler/cms/data/uploads/thesis_michael_winkler.pdf
  9. Community. (2017). Les 7 sens. via http://www.requins.eu/html/7sens.html
  10. Offord, C. Sensory Biology Around the Animal Kingdom. Retrieved March 16, 2017, via http://www.the-scientist.com/?articles.view/articleNo/46824/title/Sensory-Biology-Around-the-Animal-Kingdom/
  11. Josberger, E. E., Hassanzadeh, P., Deng, Y., Sohn, J., Rego, M. J., Amemiya, C. T., & Rolandi, M. (2016). Proton conductivity in ampullae of Lorenzini jelly. Science Advances, 2(5), e1600112. https://doi.org/10.1126/adv.1600112
  12. Krisch, J. A. (n.d.). How Skates, Sharks Use Electricity to Sense Prey. Retrieved March 16, http://www.the-scientist.com/?articles.view/articleNo/48748/title/How-Skates–Sharks-Use-Electricity-to-Sense-Prey/
  13. Bellono, N. W., Leitch, D. B., & Julius, D. (2017). Molecular basis of ancestral vertebrate electroreception. Nature, 543(7645), 391–396. https://doi.org/10.1038/nature21401