Mots clés : Bionum
D’eau douce ou d’eau salée, les poissons nous amusent, nous intriguent, nous attendrissent pour certains, mais surtout… Ils nous nourrissent. Thon, esturgeon, raie… que de mets délicieux que les poissonniers ont plaisir à nous vendre. Seulement voilà, que se passe-t-il lorsqu’un biologiste un peu pointilleux souhaite acheter du “poisson” ?
- « Quels poissons voudriez-vous aujourd’hui, monsieur ? » demande le poissonnier.
Tuuuuut. Carton Jaune. Grosse erreur de la part du poissonnier. Il ne sait hélas pas à qui il s’adresse.
- « Comment ça poissons ? Qu’entendez-vous par là ? Ce groupe-là n’existe pas, vous voulez parler des Chondrichtyens ou bien encore des Ostéichtyens ? » rétorque le client.
- « Groupe ? Chondriquoi ? Ostéiqui ? Je vends juste des poissons, Monsieur. Vous savez ces bestioles qui vivent dans l’eau avec des arêtes, des écailles, des branchies et des p’tites nageoires. »
Le client du jour allait s’avérer difficile à servir ! En effet, il s’agissait …
D’un biologiste !
- “Je crois que nous n’avons pas la même définition du terme “poisson”,” explique le biologiste. “Vous parlez de ce que vous vendez, alors que j’évoque l’inexistence du groupe des “poissons”. Pensez-vous que c’est un terme correct en biologie ?”
Le biologiste interroge donc le poissonnier, peu de clients étant présents, il a bien l’intention de développer ses arguments. Pour cela, il montre au poissonnier deux photos sur son téléphone.
- “Pensez-vous que l’on peut mettre dans la même case Rhincodon typus, l’impressionnant Requin Baleine, et Phycodurus eques, le “dragon de mer feuillu” connu aussi sous le nom d’hippocampe feuille ? ”
- “Ces deux espèces pourraient difficilement être plus différentes n’est-ce pas ?” demande le biologiste.
- “Euh oui… en effet”, s’étonne le poissonnier face aux images de son client.
- “Que pensez-vous du lien entre ces espèces ?
- “Elles doivent être bien éloignées sur l’arbre généalogique ! ” s’amuse le poissonnier.
- “Mon cher Monsieur merci ! Vous venez de dévoiler le coeur de l’approximation que nous faisons bien trop souvent !”
Mais de quelle approximation parle notre Biologiste ?
Nous avons l’habitude de classer ce que nous connaissons dans des cases à partir de ce que nous voyons.
Cependant nous allons voir ensemble que les ressemblances peuvent être trompeuses !
Si nous ne nous basons que sur des critères purement superficiels, nous pourrions ranger baleines et autres mammifères marins dans la même case que tous nos autres amis aquatiques; malheureusement ce serait incorrect.
- “Pour un biologiste tel que je suis, se vante le client, le nom que l’on donne à un groupe d’espèce devrait révéler leurs liens de parenté. Ainsi, le terme “poisson” s’il avait un sens en biologie, devrait nous donner des informations de parentés quant aux espèces qui sont désignées par ce mot.”
- “Attendez, mais qu’est-ce que vous voulez dire par “s’il avait un sens” ?” s’étonne le poissonnier.
- “Je veux tout simplement dire que ce terme “poisson” n’a pas de sens en biologie.”
- “Pour classer les espèces,” continue le biologiste, “on ne parle pas de généalogie comme pour résumer les liens d’une famille, bien qu’on utilise également des arbres. Les liens de parenté entre espèces sont bien plus complexes à tracer, et la discipline qui est consacrée à les mettre à jour se nomme la phylogénie.”
- “Phylogé-Quoi ??”
Phylogénie, quelques notions
- “La discipline qui s’attache à définir des groupes d’espèces voyons !” explique le biologiste.
“Elle permet de classer selon leur parenté les différents êtres vivants, et de savoir quelle espèce est plus proche de quelle autre espèce .
En tant que biologiste pour considérer qu’un regroupement d’espèces est pertinent, celui-ci doit révéler un lien de parenté exclusif !”
- “Qu’est-ce que c’est que ça ?”
- “Cela veut dire que chaque espèce de ce groupe et seulement les espèces de ce groupe descendent d’un unique ancêtre commun. Cet ancêtre ne doit être commun qu’aux espèces de ce groupe et lorsque ce critère est vérifié, il s’agit d’un groupe homogène, ou monophylétique, comme on dit chez les biologistes.”
- “Tout cela a l’air bien compliqué…”
En effet ce sujet complexe suscite de nombreuses incompréhensions et débats, mais heureusement, le biologiste est là pour nous éclairer !
- “Quand vous posez vos “poissons” sur votre étal, vous ne les mélangez pas entre eux ; vous mettez les esturgeons avec les esturgeons, et les thons avec les thons, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est aussi ce que font les biologistes, à plus grande échelle évidemment, avec les nombreuses espèces qui peuplent notre Terre.
Pour en revenir aux arbres, si on trouve plusieurs espèces sur une même branche, cela signifie qu’ils possèdent un même ancêtre commun. Les liaisons entre les branches sont appelées des noeuds. Et chaque noeud représente un ancêtre.
C’est comme cela que l’on a classé ce que vous appelez de façon blasphématoire les “poissons” en différents groupes, selon leurs liens de parenté : on retrouve donc les chondrichtyens, les actinoptérygiens, les coelacanthes ou encore les dipneustes.”
- “Ok… Là je ne vous suis plus… Les arbres ? Je croyais qu’on parlait de poissons.”
- “Bon, laissez-moi vous montrer.”
*le biologiste sort encore une fois son téléphone*
- “Voici ce que l’on appelle en biologie, un arbre phylogénétique. Les carrés verts représentent les différentes espèces ou groupes d’espèces, et les cercles rouges, appelés noeuds, représentent les ancêtres communs hypothétiques. On dit qu’ils sont hypothétiques car ils ne correspondent ni à des espèces actuelles ni à des espèces que l’on peut identifier précisément à cause du manque de données que l’on dispose.”
- “C’est bien ce que je disais, c’est comme un arbre généalogique à plus grande échelle, non ?”
- “Pas tout à fait, on s’intéresse ici, non pas aux relations de descendance entre des individus, mais aux relations de parenté entre des espèces. Si l’on regarde les esturgeons, les raies et les thons que vous avez sur votre étal, il n’est pas très intéressant de savoir si ce thon est le frère de cet autre thon par exemple. Ce qui intéresse le phylogénéticien c’est plutôt de savoir si l’esturgeon est plus proche parent du thon ou plus proche parent de la raie.”
- “Je vous avoue que je ne m’étais jamais posé cette question.”
- C’est justement cette question que l’on se pose en phylogénie ! Qui est plus proche de qui…”
- “Et bien… actuellement, coupe le poissonnier, c’est l’esturgeon qui est physiquement plus proche du thon sur mon étal !”
- “…et c’est cette question qui permet de construire des arbres phylogénétiques et des groupes valables, que l’on appelle groupes monophylétiques ou homogènes.”
- “Monoquoi ?”
- “Ce que je viens d’entourer en bleu est un groupe monophylétique. Il regroupe toutes les espèces qui ont un seul et même ancêtre commun exclusif. Ce sont ces groupes-là qui nous intéressent en biologie car ce sont les seuls valables.”
- “Donc si je comprends bien…” *le poissonnier dessine*
- “…Ce que je viens de dessiner en rouge n’est pas un groupe monophy…”, hésite le poissonnier.”
- “Monophylétique. Exactement, c’est ce qu’on appelle chez nous un groupe paraphylétique. Il exclut l’espèce ou les espèces réunies dans le dernier carré vert à droite. Pourtant d’après cet arbre, ces espèces descendent bien du même ancêtre commun.”
- “Ce serait peut-être plus clair avec un exemple.”
- “Oh mais bien sûr ! Prenez les singes par exemple. On mentionne les gorilles, les chimpanzés, les orang-outans, et pleins d’autres espèces de singes. Pourtant on en oublie toujours une, que tout le monde connait en plus ! L’espèce humaine !”
- “Attendez, attendez, l’Humain est un singe ? Donc vous allez me dire que parler du groupe des singes est incorrect ?”
- “Si on n’inclut pas les humains dans le groupe des singes en effet.”
- “Je veux bien accepter que nous soyons des singes, même si je pensais que nous descendions en effet du singe, mais que les poissons soient considérés comme une erreur, ça non ! Il va me falloir des preuves.”
- “Bon, récapitulons. Les études phylogénétiques cherchent à démontrer quelle espèce est plus proche de quelle autre espèce en terme de parenté. Pour cela on forme des arbres qui permettent de visualiser clairement les relations de parenté de chaque espèce. Et on se rend compte que les groupes les plus connus du grand public ne sont pas forcément basés sur des études phylogénétiques mais seulement sur des critères qui arrangent les Humains.»
En effet notre biologiste a raison, il nous arrive parfois de regrouper des espèces en fonction de critères écologiques, comportementaux ou encore économiques. Nous parlons couramment de bétail, de nuisibles ou encore d’animaux domestiques. Et tout comme les animaux marins, volants ou nocturnes, ils ne forment pas des groupes phylogénétiques valables.
Ces catégories que nous créons peuvent parfois former des groupes paraphylétiques ou des groupes que l’on nomme polyphylétiques. Les groupes polyphylétiques sont des regroupements d’espèces disparates, qui n’ont pas de lien de parenté exclusif. Ce ne sont donc pas des groupes valables en phylogénie.
- ”Très bien, très bien ! Mais vous ne m’avez toujours pas prouvé que les poissons n’existaient pas !” s’impatiente le poissonnier.
“Et pourquoi est ce que je ferais confiance à ces arbres d’abord ?”
- “Ne vous inquiétez pas Monsieur !” le rassure le biologiste. “Je vais vous expliquer comment les chercheurs construisent ces arbres de parenté entre les espèces, vous allez voir qu’au final la logique est moins difficile à comprendre que l’on pourrait le croire. »
Processus de constructions d’arbres phylogénétiques
L’ADN
- « A la base de la vie, il y a l’ADN. C’est cette longue molécule qui code, un peu à la manière d’un ordinateur, le fonctionnement d’un organisme, ses caractères etc…”
- “Je vois … Mais en quoi cela nous aide à découvrir les liens de parenté aberrants qui osent affirmer que les poissons n’ont pas de sens ?”
- “Et bien voyez-vous, le système de base est le même pour toutes les espèces, on peut donc comparer ces séquences d’ADN : je peux déjà vous dire que nos ADN sont similaires à 99,9% en tant que deux êtres humains non apparentés.”
- “Comment est-ce possible ?!”
- “Malgré nos différences, l’organisation générale et le fonctionnement de nos organismes sont identiques !”
- “Ah oui en effet, nous avons les mêmes organes, aux mêmes endroits.”
- “Exactement ! Ce qui n’est pas le cas pour d’autres espèces. »
Construction d’arbres phylogénétiques
- “Pour déduire les degrés de parenté entre les êtres vivants c’est souvent par comparaison des séquences d’ADN qu’on procède. On peut ainsi déterminer par exemple pour 3 espèces, quelles sont les deux plus proches par rapport à la troisième.
On récolte donc de nombreuses données sur les comparaisons entre espèces pour lesquelles on souhaite construire un arbre.” - “Savoir si le cabillaud est plus proche du thon que de la sardine, je veux bien le comprendre,” dit le poissonnier, “mais de là à faire tout un arbre de parenté …”
- “Eh bien avec un certain nombre de comparaisons entre espèces, on obtient plusieurs arbres possibles. Il faut donc tous les construire.”
- “Mais à quoi cela sert-il si l’on ne sait pas lequel est le bon ?”
- “Patience mon cher ! ”
Détermination des liens de parentés (choix d’un arbre)
- “Il existe plusieurs modèles ou méthodes pour choisir un arbre, certains se base sur les probabilités : c’est le modèle de vraisemblance, un autre sur le fait que l’arbre à privilégier est celui qui nécessite le moins d’événements évolutif, c’est le modèle de parcimonie : l’arbre avec le moins d’événements évolutifs est le plus parcimonieux…”
- “L’arbre avec le moins de quoi ?” demande le poissonnier.
- “Toutes mes excuses ! Un événement évolutif c’est tout simplement la modification de l’état d’un caractère sur une des branches de l’arbre.”
- “…”
- “Ok ! Imaginez un arbre tel que ceux que j’ai utilisés pour vous expliquer la phylogénie. Si un ancêtre hypothétique avait par exemple des ailes, et que l’une des deux espèces “filles” n’en a plus, on a un événement évolutif sur la branche menant à cette espèce. Le caractère [ailes] est passé de l’état présent à l’état absent.”
- “Je comprends mieux … Mais comment trancher entre ces différents modèles ?”
- “Eh bien quelque part on ne tranche pas vraiment, du moins pas tout de suite. On réalise d’autres arbres, en changeant les espèces testées, en modifiant les caractères étudiés puis on compare les arbres obtenus avec différents modèles. On obtient alors de plus en plus de données qui nous permettent de retracer avec de plus en plus de précision les liens de parenté entre êtres vivants !”
- “Je comprends ! Vous partez donc de comparaisons moléculaires sur l’ADN entres espèces afin d’établir des relations du type “qui est plus proche de qui ? ”. En comparant de nombreuses données vous pouvez ensuite construire des arbres de parenté et en sélectionner selon différents modèles. La répétition du processus en changeant les paramètres de l’étude comme les espèces, les caractères étudiés, permet donc d’avoir des arbres de plus en plus fiables !”
- “Bravo ! Magnifique ! Je suis fier de vous mon cher Monsieur !”
- “Mais bien que je comprenne votre méthode … j’attends toujours une preuve… Les poissons, un groupe qui n’existe pas ? Je n’arrive pas à y croire..”
Le biologiste ne l’explique pas au poissonnier mais avant la découverte de ces méthodes de classification, certains groupes ont été formés sur la base d’une absence de caractère, comme le groupe des invertébrés.
Ce “groupe” est formé, comme son nom l’indique, par des espèces qui n’ont pas de vertèbres. Ce ne sont pas des groupes valables en phylogénie, étant donné que leur regroupement n’est pas basé sur la relation de parenté des espèces mais sur la présence ou absence de caractères chez les espèces.
Il faut donc faire attention à ces groupes dont on peut encore entendre parler aujourd’hui, mais qui sont hérités de méthodes de classification obsolètes.
Le groupe des poissons, réalité ou imposture ?
Quand le poissonnier parle de “poissons”, il se réfère à diverses espèces qui pourraient finir sur son étal.
Mais contrairement à la croyance commune, on ne peut pas réellement tous les mettre dans le même “groupe” phylogénétique comme lui a bien dit le biologiste. Cependant, notre poissonnier est un peu têtu et demande à obtenir des preuves quant à l’inexactitude du groupe des poissons.
- “Maintenant que vous savez comment sont formés les arbres phylogénétiques, explique le biologiste, laissez-moi vous montrer celui des vertébrés. Car je ne sais pas si vous le saviez mais les poissons sont en effet des vertébrés.”
Le biologiste montre sur son téléphone cet arbre, qui a été obtenu suite à la méthode qu’il a expliqué précédemment.
- “Qu’est ce que c’est que ça ? Vous êtes en train de me perdre, monsieur,” s’écrit le poissonnier. “Chondrych-je-sais-pas-quoi.”
- “Ce sont les requins mon cher !
On peut voir sur cet arbre plusieurs groupes de “poissons” tels que les requins donc, qui forment avec les raies le groupe nommé Chondrichtyens par les phylogénéticiens, ce qui veut dire poisson cartilagineux !
On trouve également les Actinoptérygiens : un groupe représentant l’écrasante majorité des espèces connues considérées comme des poissons. Les délicieux saumons, nos amis les thons, les rigolos poissons-clown sont tous des Actinoptérygiens !”
- “Et cet esturgeon que vous vous apprêtiez à m’acheter ?”
- “Lui aussi en est un !”
- “Je vais maintenant vous parler d’un groupe de poissons assez méconnu : les dipneustes ! Sous ce nom se cache un groupe composé de trois espèces de “poissons” d’eau douce vivant respectivement chacune en Amérique du Sud, en Australie et en Afrique. Le dipneuste africain est capable de supporter des conditions environnementales très rudes. En effet cette espèce survit même en période de sécheresse.”
- “Un poisson qui survit sans eau ? Mais comment est-ce possible ?” s’étonne le poissonnier.
- “Ces poissons sont en effet munis de poumons fonctionnels qui leur permettent de respirer à la surface. Ils peuvent même s’enfouir sous terre lors d’épisodes de grande sécheresse et y rester plusieurs semaines jusqu’au retour de l’eau.
Maintenant que vous en connaissez un peu plus sur ces poissons dotés de poumons, observons leurs liens de parenté qui ont été établis avec les autres espèces.”
- “Les dipneustes font partie du groupe des rhipidistia et sont les plus proches parents des tétrapodes qui regroupent les mammifères ou les oiseaux par exemple.”
Grâce aux études phylogénétiques, nous avons pu établir que toutes les espèces présentes dans le groupe des rhipidistia descendent d’un même ancêtre commun hypothétique qui possédait des poumons et un coeur.
Or lorsque l’on regarde la phylogénie, il n’y a pas d’autres poissons faisant partie du groupe des rhipidistia : les dipneustes en sont les seuls représentants.
- “J’ai dit précédemment que les dipneustes étaient les plus proches parents des tétrapodes. On peut également dire le groupe frère. Cela signifie qu’il n’existe pas de groupe d’espèces plus proche des dipneustes que les tétrapodes ! C’est-à-dire que les dipneustes sont plus proches de nous les humains par exemple que des esturgeons et des thons de votre étal !” s’exclame le biologiste au poissonnier.
Notre biologiste commence à faire douter le poissonnier et pense arriver à le convaincre que les poissons ne forment pas un groupe homogène en phylogénie.
Mais ce n’est pas tout !
Voici une autre analyse de cet arbre qui finira de vous convaincre que, d’un point de vue phylogénétique, les poissons n’existent pas.
- “Regardez ce nouvel arbre et intéressons-nous au positionnement de ces différents groupes dans la phylogénie des vertébrés.
Les points rouges présents sur cet arbre correspondent aux ancêtres communs hypothétiques de chaque groupe.”
- “Ok je suis,” confirme le poissonnier.
Notre biologiste a ici souligné et encadré pas mal de groupes !
- “Ok, alors ! Vous voyez tous ces groupes soulignés ? On peut observer les cyclostomes, qui regroupent les lamproies, les myxines et autres monstres des profondeurs caractérisés par leur bouche circulaire. On remarque également des groupes dont nous avons déjà parlé comme les chondrichtyens, réunissants requins et raies, les actinoptérygiens, les coelacanthes et les dipneuste. Et bien ce sont tous des groupes d’espèces que nous avons pour habitude de nommer des poissons.”
La majorité des poissons font partie du groupe souligné en rouge, il s’agit du groupe des Actinoptérygiens.
Comme le difficile client du poissonnier nous l’a expliqué précédemment, un groupe homogène est constitué de tous les descendants d’un ancêtre commun hypothétique qui n’est commun qu’aux membres de ce groupe.
D’après cette définition, on a bien sur cet arbre des groupes homogènes constitués uniquement de poissons, tel que le groupe des Actinoptérygiens.
Et vous pourriez alors vous dire que les poissons sont un groupe homogène que l’on appellerait actinoptérygien ! Et les dipneustes alors ? Et les requins, que faites vous des requins ?
Mais notre biologiste n’a pas fini d’en découdre avec l’existence des poissons.
- “Regardez ! Quel est le groupe qui rassemble toutes les espèces que l’on appelle poisson et uniquement ces espèces ?”
- “Alors…mmh…. J’aurais dit celui des vertébrés mais … sans les tétrapodes !” s’exclame le poissonnier.
- “Cela ne vous rappelle rien ? ”
- “Le point de l’arbre qui permet de regrouper toutes ces espèces de poissons, c’est-à-dire leur ancêtre commun, est un vertébré.” explique le biologiste.
“Or cet ancêtre vertébré n’est pas commun qu’aux poissons mais également à tous les tétrapodes !”
- “Ca y est je me souviens ! C’est un groupe paraphylétique !”
- “Exactement !”
- “Mais alors …” comprend le poissonnier.
- “Les poissons ne sont pas un groupe homogène, donc non valable en phylogénie,…
Les poissons n’existent pas ! ”conclut le biologiste.
Cette discussion laissa le poissonnier abasourdi. Les poissons n’existent pas ?
Alors ? Poissons ou pas poissons ?
Alors finalement, faut-il parler de poissons ? Vertébrés marins ? Téléostéens comestibles ?
En termes de parenté, la réalité est bien plus complexe qu’il n’y paraît !
Comme le biologiste l’a expliqué au poissonnier, aujourd’hui les arbres phylogénétiques sont réalisés sur des bases d’analyses moléculaires qui permettent une représentation plus fidèle des liens de parenté. Celle-ci n’est pas influencée par notre volonté de ranger ensemble des espèces qui se ressemblent d’un point de vue morphologique.
C’est surtout grâce aux données moléculaires que l’on tire la classification actuelle des êtres vivants. On sait désormais que certains poissons, comme les dipneustes sont plus proches des mammifères qu’ils ne le sont d’autres poissons comme les saumons.
Comme le biologiste l’a montré au poissonnier, il existe de nombreux groupes composés uniquement d’espèces que l’on appelle “poissons”, mais tous ces groupes réunis ensemble ne forment pas un groupe monophylétique. Tous les “poissons” forment le groupe des vertébrés en excluant tous les tétrapodes. C’est donc un groupe paraphylétique, non valable en phylogénie.
Malheureusement pour notre poissonnier, certaines espèces peuvent donc être plus proches entre elles qu’on ne l’aurait imaginé ou bien plus éloignées. Certains ensembles d’espèces ne forment pas de groupes phylogénétiquement valables, comme les poissons.
Mais finalement, notre poissonnier est-il vraiment en tort lorsqu’il dit vendre du “poisson” ?
Pas vraiment, tout le monde comprend ce que désigne le mot “poisson” et personne ne vous en voudra de l’employer… Sauf peut-être un biologiste un peu tatillon !
Entre “Poissons” à poumons, “Poissons” sans nageoires, “Poissons” avec ou sans écailles …
Comestibles ou non, les espèces dont nous avons parlé sont-elles conformes à la case qui leur est assignée depuis tant de temps ?
Nos amis biologistes et poissonniers ont chacun bien exposé leurs arguments.
Poissons en Gastronomie ? OUI ! Rien ne nous interdit d’utiliser un groupe non homogène pour désigner les espèces que l’on accepte dans nos assiettes, sauf peut-être à la cantine de l’Université…
Mais en sciences ? Hors de question.
Bibliographie
Articles
Les poissons n’existent pas Sur le blog du même nom.
Bruno Chanet, Sophie Mouge et Guillaume Lecointre, Les idées reçues sur l’évolution.
Livres
Nelson, Gareth, Gill arches and the phylogeny of fishes, 1969
Willi Hennig, Phylogenetic Systematics, 1965
Documentaire
Denis Van Waerebeke, Espèces d’espèces, 2009
Dessins
Crayon sur papier par Gabriel Darnon