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Une nouvelle piste révolutionnaire qui utiliserait le gras du bide comme une arme pour ralentir la propagation du cancer ? C’est la récente découverte faite par une équipe de la Mayo Clinic de Jacksonville (USA) qui travaille sur le sujet. On vous explique tout.

Habituellement, quand on parle de surcharge graisseuse, de capiton, de ventre rond, enfin bref, de gras, on pense tout de suite à l’obésité et à McDonalds. Pourtant, il n’a pas toujours un mauvais rôle.

D’une manière générale, la graisse est un tissu qui permet de stocker des lipides. En cas de besoin, elle va les libérer dans notre corps, qui s’en servira pour produire de l’énergie. Mais, comme toutes les bonnes choses, en trop grande quantité, elle devient nocive.

En réalité, le gras renferme un trésor dont les chercheurs vont se servir pour combattre le cancer : des vésicules super puissantes qu’ils veulent modifier pour les rendre capables d’interrompre la progression des tumeurs. Mais, avant toute chose, nous allons vous raconter comment se déroule la véritable attaque que subit notre corps lors d’un cancer.

Cellule vénère. (©Manon Budzyk)

ETAT TOTALITAIRE – Notre corps est composé de 100,000 milliards de cellules. Pour qu’il fonctionne correctement, les cellules se doivent de respecter certaines règles et de ne jamais y déroger. La non-obéissance des cellules compromettrait l’intégrité et le bon fonctionnement de l’organisme.

Mais, dans certains cas, à force d’être assaillie par son environnement (le soleil, la pollution, etc) une cellule peut perdre complètement la raison et déclencher une véritable insurrection en arrêtant de respecter les lois établies par l’organisme.

Si ces règles ne sont pas suivies de manière stricte, les cellules dissidentes risquent la mise à mort par l’organisme. Parfois aussi, prises de remords, il est possible que les cellules décident de se suicider, c’est l’apoptose… Ces deux phénomènes conduisent au même événement : la mort cellulaire.Rassurez vous, ça ne fait pas mal !

Le suicide cellulaire est une pratique très répandue. source

Traduction : ”Apoptose, connaissez-en les symptômes”.

Seulement, il arrive que malgré cette justice implacable et les nombreux contrôles existants, certaines cellules échappent à toute répression : elles déclenchent alors une révolution en devenant cancéreuses, et là ça fait mal ! Elles peuvent se mettre à proliférer de manière incontrôlée, donc à produire de nouveaux rebelles et vont commencer à former une petite tumeur, qui peut progressivement croître et envahir les tissus environnants.

Peu à peu, les cellules cancéreuses vont coloniser de nouveaux territoires en passant notamment par les circulations vasculaire et lymphatique. Cette dernière est constituée d’un réseau de vaisseaux agencé de manière parallèle au système sanguin par lequel transitent les cellules du système immunitaire.

Le système sanguin (à gauche) est très ramifié et est présent dans la grande majorité du corps. Le système lymphatique (à droite) est organisé en parallèle au système sanguin. Une fois ces deux structures atteintes, les cellules cancéreuses ont la capacité de voyager plus ou moins partout dans le corps. source 1 source 2

Ces deux systèmes constituent des sortes d’autoroutes pour les cellules cancéreuses grâce auxquelles elles peuvent se déplacer rapidement et à grande distance de la tumeur primaire. La rébellion se propage alors dans plusieurs organes à la fois : on dit que le cancer est métastatique.

Les cellules cancéreuses déplacent à vitesse grand V une fois dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques pour coloniser le reste du corps. Ces vaisseaux leur

1ERE PHASE : RÉBELLION SECRÈTE – Parmi les cancers, certains sont particulièrement insidieux car ils ne présentent de symptômes qu’à un stade très avancé : c’est notamment le cas de certaines types cancers hépatiques comme le cholangiocarcinome, le cancer des vaisseaux biliaires (du grec chol : « bile », angi(o) : « capsule, vaisseau » et carcinome : « cancer »).

Les symptômes de la rébellion des cellules du foie sont multiples : malaises, perte de poids, sensations de fatigue et de faiblesse, douleurs abdominales, fièvre, etc. Ce sont des symptômes traîtres qui sont difficiles à attribuer à un cancer. Aux premiers abords, on pense plutôt à une grosse gastro. Le seul symptôme évident qui évoque un problème au foie est la couleur de la peau. Le patient dont le foie ne fonctionne plus correctement accumule une protéine jaune sous la peau : il a la jaunisse.

2EME PHASE : ATTAQUE FOUDROYANTE – En plus d’être sous-diagnostiqué, ce type de cancer est généralement incurable. Dans les premiers stades du cancer, on privilégie une ablation chirurgicale : on retire les cellules tumorales rebelles par chirurgie pour que l’ordre puisse revenir dans l’organisme. Cependant, la probabilité de guérison totale et donc l’efficacité de cette méthode dépend de l’avancée des cellules insurgées dans les systèmes circulatoires.

Si le cancer est trop étendu car il aura commencé à métastaser, des protocoles de chimiothérapie sont proposés aux patients. Mais ils occasionnent de très lourds dommages collatéraux en s’attaquant aussi aux tissus sains. La chimio, c’est un peu comme utiliser un lance-rocket pour tuer un cafard. Vous allez détruire le cafard, le parquet, mettre le feu à la maison et prendre des dégâts dus au souffle de l’explosion.

La chimiothérapie engendre des dommages collatéraux. (© Elise Paniel)

Traduction : “Fonctionnement de la chimiothérapie. Je suis une cellules méchante. Je suis une cellules gentille. Après la chimiothérapie.”

Bon, on caricature un peu mais la chimiothérapie reste l’une des meilleures techniques actuelle pour soigner un cancer. Le message important qu’on veut faire passer ici c’est que, pour le confort des patients, il est important de continuer à chercher des méthodes moins invasives, car la chimiothérapie affaiblit considérablement les personnes suivant ce traitement.

LES CHERCHEURS CONTRE-ATTAQUENT – C’est ce que souhaite développer l’équipe du Dr Tushar Patel en collaboration avec le Dr Joy Wolfram à la Mayo Clinic en Floride. Les chercheurs désirent mettre au point un traitement des tissus cancéreux de manière ultra-précise, qui présenterait le double avantage d’être plus efficace et mieux toléré par le patient. C’est comme si on remplaçait le lance-rocket par un fusil de précision.

Leur idée est de proposer un traitement qui, au lieu de tuer les cellules, interrompt leur système de communication. En effet, quel que soit le domaine dont on parle (biologie, média, armée…), la transmission des messages est essentielle pour maintenir le bon fonctionnement du système. Ainsi, en empêchant la propagation des messages entre cellules rebelles, on pourrait empêcher la propagation du cancer lui-même.

COMMUNICATION CRYPTÉE – Avant de se pencher plus en détails sur les mécanismes de ce traitement, on va essayer de comprendre comment les cellules cancéreuses communiquent.

Ces cellules possèdent de nombreux moyens de transmettre des messages aux autres rebelles de leur camp, mais le plus courant passe par l’utilisation de vésicules extracellulaires. Ces toutes petites bulles émises par les cellules sont des véhicules qui contiennent des messages de nature variée : hormones, neurotransmetteurs ou bien dans notre cas, de l’ARN, longues molécules ressemblant beaucoup à de l’ADN.

Une fois embarquées à bord des vésicules, ces molécules d’ARN transitent vers les cellules voisines pour délivrer leur message qui est ensuite décrypté par la cellule réceptrice. Ce message peut par exemple contenir l’ordre de rejoindre la rébellion, permettant aux cellules réceptrices de se détacher du tissu et de regagner les systèmes circulatoires pour conquérir de nouveaux organes.

Voici une vidéo schématique et en anglais qui illustre la communication via les vésicules extracellulaires :

RETOUR À LA CONTRE-ATTAQUE – C’est cette propriété de communication via l’ARN que les chercheurs en question veulent cibler. L’ARN ne peut transmettre un message que s’il est sous forme simple brin. Il est assez simple de court-circuiter la réception d’un message à l’aide d’un autre ARN de séquence complémentaire qu’on appellera ARNi -pour interférent- car il interfère dans la communication. Lorsque deux ARN de séquences complémentaires s’associent, on obtient alors un ARN qui est double brin. Or, pour nos cellules, c’est un signal de danger absolu. Pour se protéger, elles mettent en place une attaque rapide qui vise à détruire ces molécules et donc le message qu’elles contiennent.

Il serait donc intéressant de synthétiser des ARNi complémentaires aux signaux envoyés par les camps rebelles. On couperait court à toute forme de messages codés que les cellules cancéreuses pourraient s’échanger. Ainsi, les différentes cellules cancéreuses ne peuvent plus s’organiser et mener des actions concertées. En d’autres termes : le cancer resterait bloqué au stade où il est.

Mécanisme de fonctionnement de l’ARN interférent. Ici le code quaternaire A, U, C, G est représenté par une clé jaune, une clé bleue, une serrure jaune et une bleue. Chaque clé doit être en face de sa serrure pour que les ARN simples brins s’hybrident et soient dégradés. (©Mélanie Le Gouez)

L’équipe du Dr Patel cherche à modifier des vésicules extracellulaires de taille nanométrique (appelée microvésicules) en y insérant des contre-ordres sous forme d’ARN interférent. Grâce aux propriétés des ARN vues précédemment, ces contre-ordres empêchent les signaux cancéreux d’être délivrés aux cellules en les détruisant. Ce système permet alors de limiter le recrutement de nouveaux rebelles.

L’APPEL DU GÉNÉRAL DE GRAISSE – Mais pour cela, il faut se procurer des vésicules ! C’est ici qu’intervient le bon vieux gras dont on vous parlait au début de cet article. Le tissus graisseux est une véritable mine d’or en microvésicules, et les chercheurs ont eu l’idée de détourner la graisse dans notre corps pour en extraire ces petites sphères.

Afin de séparer les microvésicules du reste du gras, une méthode appelée TFF (Tangential Flow Filtration) a été mise au point. C’est un genre de tamis nanométrique permettant de séparer les molécules de moins de 100nm de diamètre du reste.

Schéma explicatif du système TFF. La machine agit comme une sorte de tamis qui ne laisse passer que les particules inférieures à 100 nanomètres de diamètre. Cela permet de récupérer les microvésicules du gras. (© Valentin Berdah) Adipocytes : cellule du gras.

 

À l’image d’agents secrets/infiltrés, les sphères modifiées vont se fondre dans la masse de sphères contenant des signaux cancéreux et empêcher les rebelles de se multiplier et d’envahir plus de terrain que celui déjà conquis. Cette méthode permettrait même d’envoyer des signaux destructeurs pour leur imposer un suicide cellulaire.

Ces nombreuses vésicules génétiquement modifiées (VGM) vont ensuite être transfusées chez les patients par voie sanguine. Rappelez-vous que cette thérapie vise à soigner le cancer du foie qui est un organe majeur du système circulatoire : le sang y est filtré. Les VGM y transiteront obligatoirement et leur action sera donc possible sur les cellules cancéreuses dans cet organe.

Actuellement, cette méthode est en cours de développement. Les chercheurs jouent un peu les “recycleurs de l’extrême” en utilisant des déchets de liposuccion pour leurs expériences. Mais l’objectif final est de pouvoir extraire, puis modifier directement le gras du patient et le lui transfuser pour le soigner.

Ce serait donc une grande avancée, et une possible victoire, pour certaines personnes de pouvoir combattre leur cancer avec leur propre gras.

Billet co-écrit par Valentin Berdah, Manon Budzyk, Alexis Jousselin et Mélanie Le Gouez.

Sources :