Par Patrick LAURENTI, Thomas PETIT et Albane PETIT-TRISTAN
Mots clés : Bionum, Brèves, M2_EMTE
Etiquettes: Algue, Phylogénie, Phylogéographie

Conséquences du voyage et de l’exploitation de la gracilaire du chili (illustration Petit-Tristan Albane, Cordier Émilie, Petit Thomas)
Saviez-vous que les algues peuvent déménager ? C’est le cas de l’algue utilisée pour faire de l’agar-agar, l’algue rouge du Chili. Surprenant non ? C’est pourtant le résultat d’une étude multidisciplinaire à la croisée entre l’archéologie, la génétique et l’écologie.
Les scientifiques ont échantillonné l’algue rouge du Chili et ses cousines gracilaires dans différentes zones de leur répartition et ont réalisé une étude génétique (1). Et surprise ! Les gracilaires présentes au Chili, en Nouvelle-Zélande, en Australie et dans l’île de Chatham sont en fait … de la même espèce. La proximité génétique entre les algues a révélé un goulot d’étranglement, terme peu joyeux signifiant simplement qu’un petit nombre d’individus a colonisé le Chili puis que la population a augmenté. Grâce à ces indices, les scientifiques ont pu montrer que Gracilaria chilensis est arrivée au Chili il y a environ 14 000 ans, à la suite d’un voyage transocéanique de longue distance en provenance de la Nouvelle-Zélande. L’algue rouge du Chili est donc une Néo-Zélandaise infiltrée !
Mais ce n’est pas tout ! Elle est en crise de diversité génétique ! Les populations chiliennes sont moins diverses et moins adaptées par rapport à celles de la Nouvelle-Zélande. Cela s’explique de plusieurs manières. D’abord, les scientifiques pensent que le goulot d’étranglement aurait induit une faible diversité génétique au Chili. En plus, elle a un mode de reproduction particulier (fragmentation asexuée) qui produit des clones et ne participe donc pas à la diversité génétique. La domestication de cette algue n’aide pas non plus, car l’homme, en sélectionnant certains traits, diminue sa diversité génétique.
En tout cas, la connaissance des origines de l’algue rouge du Chili ouvre des pistes pour faire face à sa crise de diversité génétique. Il est par exemple possible de planter au Chili des graines de la Gracilaire du Chili provenant de Nouvelle-Zélande afin d’introduire de nouveaux gènes ou encore de passer à un élevage extensif.
Au-delà de ces découvertes, cette étude a montré l’importance de la multidisciplinarité pour faire face à la crise de la biodiversité.
(1) Guillemin M-L, Valero M, Faugeron S, Nelson W, Destombe C (2014) Tracing the Trans- Pacific Evolutionary History of a Domesticated Seaweed (Gracilaria chilensis) with Archaeological and Genetic Data. PLoS ONE 9(12): e114039. doi:10.1371/journal.pone.0114039