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Un canard et une salamandre qui ne manquent pas d’air se retrouvent COINcés au milieu d’une insurrection. Qu’est-ce que ça donne ? Et non, ce n’est pas le début d’une mauvaise blague, mais bien d’une BD à couper le souffle… littéralement.

Script

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Paris, 1871…

K’anar: Eh bien, l’ami, crève pas tout de suite ! Tu veux un tissu à mettre sur ta bouche?

Salam: C’est gentil mais inutile car… Je respire surtout par la PEAU !

K’anar: Qu’est-ce que tu racontes ? Tout le monde sait qu’on respire avec les poumons

Salam: T’as pas inventé la poudre à canon toi hein ? Laisse-moi t’expliquer. Il y a plein de bestioles qui respirent par la peau, c’est ce qu’on appelle la respiration cutanée.

K’anar: Cutis c’est la peau en latin !

Salam: C’est le cas de pas mal de monde dans la grande famille à laquelle j’appartiens:  les AMPHIBIENS. Mais pour comprendre, regarde d’abord le fonctionnement des poumons, ici chez les humains.

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Salam: Lors d’une inspiration, l’air passe d’abord par un tuyau (dit la trachée) avant d’arriver dans les POUMONS, qui contiennent des petits sacs (dits sacs alvéolaires), gonflés par l’air. Leur paroi est constituée d’alvéoles, des petites cavités dont la paroi est très fine et traversée par des vaisseaux sanguins encore plus fins: les capillaires.

Pour rappel, le but de la respiration, c’est d’amener aux cellules l’oxygène dont elles ont besoin, et d’évacuer le dioxyde de carbone.

Salam: Un gaz est défini par le fait de tendre à occuper tout l’espace qui est disponible. Donc lors d’un contact entre un milieu plus concentré en un gaz et un autre moins concentré, les milieux vont équilibrer leurs concentrations. Il y a donc un déplacement de molécules du milieu le plus concentré vers le milieu moins concentré.

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Salam: Or, quand le sac alvéolaire est gonflé, l’air qu’il contient est plus riche en dioxygène que le sang. Les molécules de dioxygène ayant traversé la paroi des capillaires sanguins arrivent alors dans le sang et sont dissoutes, ou bien fixées sur des complexes de molécules appelées “hémoglobine.” Puis le sang est propulsé dans les vaisseaux sanguins de tout le corps par le cœur qui agit comme une pompe.

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K’anar: Attends pause, je crois que je suis pas au clair sur un point.

Salam: Oui ?

K’anar: Tu m’as dit que la respiration cutanée, c’est quand les échanges de gaz se font depuis le milieu extérieur, et pas l’intérieur du corps. Mais est-ce que l’intérieur des poumons n’est pas en continuité avec le milieu extérieur ?

Salam: C’est vrai. Toi, moi, (et notre sympathique lecteur), on peut nous voir comme des donuts. Le trou du donut, c’est notre tube digestif, de la bouche à l’anus. L’intérieur du tube digestif est effectivement en continuité avec le milieu extérieur. Pour les poumons, c’est presque pareil. C’est une zone qui est en contact direct avec l’environnement extérieur, mais “à l’intérieur” du corps dans le sens où elle tapisse une cavité, tes poumons (même si eux ne traversent pas de part en part comme le tube digestif). Donc les respirations cutanée ET pulmonaire sont des processus impliquant des échanges gazeux entre le sang et l’air extérieur. La spécificité de la respiration cutanée c’est que l’air ne traverse pas de conduit spécifique à la respiration avant d’entrer dans les vaisseaux sanguins, mais uniquement l’enveloppe corporelle: la peau ! Enfin, à condition qu’elle soit fine et vascularisée. Mais en réalité, la plupart des vertébrés respirent au moins un peu par la peau, c’est juste que ça ne représente qu’une petite part de leur respiration. On parle ici de respiration cutanée lorsque ce type de respiration représente une part importante des échanges gazeux.

K’anar: Pratique ! J’veux la même chose, pourquoi tout le monde n’a pas ça ?

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Salam: Pratique ? Je dirais plutôt que ça ne casse pas forcément trois pattes à un…Oups… désolé. La respiration induit plein de contraintes : les poumons ont un avantage, vu que ça se passe à l’intérieur du corps, le nombre d’alvéoles peut être multiplié, et donc la surface maximisée. Et les alvéoles étant à l’abri, leur paroi peut être plus fine, humide et poreuse, ce qui facilite les échanges gazeux avec le sang. Dans mon cas, c’est ma peau doit assurer les contraintes de surface et de finesse pour la respiration, mais aussi assurer sa fonction première d’enveloppe. Ce rôle  de protection implique à l’inverse plutôt d’être épaisse et le plus proche possible de mes organes. C’est pour ça que les animaux qui respirent comme ça ont tendance à être petits: Le volume s’agrandit “plus vite” que la surface. Quand un animal grandit, les gains en absorption dus à la surface sont plus faibles que les pertes en consommation dues au volume.

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Salam: Et difficile d’avoir des plumes ou poils sur le caillou. Et puis une peau super fine, on a vu mieux comme défense ! Pas trop près du feu ! Il faut que ma peau reste humide. Pour passer dans le sang, le dioxygène doit être dissous dans un liquide. Tes poumons sont un milieu humide, mais moi, ma peau doit être dans l’eau, ou humidifiée par un mucus. J’ai des glandes pour produire ce mucus, mais si ma peau s’assèche, ça craint.

Oxygène dissous: peut traverser les parois et se fixer à l’hémoglobine.

Salam: Toutes ces contraintes concernant la respiration peuvent être modélisées par les lois de Fick: La diffusion d’un gaz au sein d’un tissu (ici la peau), dépend de plusieurs paramètres. Ceux qui peuvent varier chez les animaux sont les suivants: – La surface et l’épaisseur de la peau, – La différence de pression des gaz des deux côtés de la peau, – Le temps de contact

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K’anar: Je vois ! Donc je reprends : si tu arrives à respirer uniquement par la peau, c’est parce qu’elle est fine, poreuse et humide pour laisser passer les gaz entre ton environnement et ton sang, que ce soit l’eau ou bien l’air, c’est ça ?  Et le fait d’être petit !

Salam: Oui c’est ça ! En réalité, il y a une petite subtilité en plus dans mon cas. Je respire aussi avec l’intérieur de ma bouche.

K’anar: Donc le mouchoir tout à l’heure, c’était pas si bête que ça, vu que ça aurait protégé ta bouche.

Salam: Mais quelle buse !

K’anar: Il faut bien de tout pour faire un monde. Tu devrais le savoir, toi qui me parles de la variété des modes de respiration ! Pulmonaire, cutanée…

Salam: Et encore, je ne t’ai pas parlé de la respiration trachéenne de nos amis les insectes, ou encore branchiale chez les poissons par exemple.

¡ Viva la evolución !

[Fin]

Bibliographie

Articles scientifiques :

Feder, M. E., & Burggren, W. W. (1985). Cutaneous gas exchange in vertebrates : Design, patterns, control and implications. Biological Reviews, 60(1), 1‑45. https://doi.org/10.1111/j.1469-185X.1985.tb00416.x

Gargaglioni, L. H., & Milsom, W. K. (2007). Control of breathing in anuran amphibians. Comparative Biochemistry and Physiology Part A: Molecular & Integrative Physiology, 147(3), 665‑684. https://doi.org/10.1016/j.cbpa.2006.06.040 (pas un article de recherche mais au moins il est plus récent)

Lewis, Z. R., Dorantes, J. A., & Hanken, J. (2018). Expression of a novel surfactant protein gene is associated with sites of extrapulmonary respiration in a lungless salamander. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 285(1888), 20181589. https://doi.org/10.1098/rspb.2018.1589

Lewis, Z. R., Kerney, R., & Hanken, J. (2022). Developmental basis of evolutionary lung loss in plethodontid salamanders. Science advances, 8(33), eabo6108. https://doi.org/10.1126/sciadv.abo6108

Maina, J. N. (2002). Structure, function and evolution of the gas exchangers : Comparative perspectives. Journal of Anatomy, 201(4), 281‑304. https://doi.org/10.1046/j.1469-7580.2002.00099.x

Riddell, E., & Sears, M. W. (2020). Terrestrial salamanders maintain habitat suitability under climate change despite trade-offs between water loss and gas exchange. Physiological and Biochemical Zoology, 93(4), 310‑319. https://doi.org/10.1086/709558

Tattersall, G. J. (2007). Skin Breathing in Amphibians. In W. C. Aird (Ed.), Endothelial Biomedicine (pp. 85–91). chapter, Cambridge: Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/CBO9780511546198.010

Wright, P. A. (2021). Cutaneous respiration and osmoregulation in amphibious fishes. Comparative Biochemistry and Physiology Part A: Molecular & Integrative Physiology, 253, 110866. https://doi.org/10.1016/j.cbpa.2020.110866

Sources de vulgarisation :

Feder, M. E., & Burggren, W. W. (1985). Skin breathing in vertebrates. Scientific American, 253(5), 126‑143. Skin Breathing in Vertebrates

Slimy pour une bonne raison : la respiration cutanée

Comment les têtards et les grenouilles respirent-ils sous l’eau ?  – C’est pas sorcier

Les amphibiens: Respiration et déplacement

Looking at lunglessness

Les différents modes de respiration des êtres vivants

Wikipédia: cutaneous respiration

Cairn : Loi de Fick

https://wikiland.org/fr/Lungless_salamander

Wikipédia: poumon

Uniquement concernant la diffusion des gaz : https://www.loneos.fr/CTD59/2016-2017%20Theorie%20N4/20170211%20-%20Echanges%20gazeux.pdf

Echanges gazeux

La diffusion et l’effusion des gaz (Loi de Graham) | Alloprof