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Vous qui avez un cerveau et lisez ces lignes, réjouissez-vous de sa présence. Réjouissez-vous aussi d’avoir traversé sans dommage la Grande Neurulation ! Approchez, approchez, laissez moi vous conter comment le tube neural se mit en place grâce à Frodine, la cellule vaillante.

Une histoire originale de Balan Thomas, Cazals Elisabeth, Doré Léa et Vertueux Anaïs

Cette histoire que content les anciennes, dont la mémoire de toutes choses reste limpide, se déroule au sein d’une masse visqueuse et étrange : l’embryon du suprême gallinacé. A votre instar, son développement résulte d’événements légendaires, dont la formation du tube neural. Cette étape est menée par les cellules de l’ectoderme qui composent les surfaces les plus externes du corps.

Les cellules sont les petites unités constituant les organismes vivants. L’embryon, qui abrite les cellules, est un monde sphérique organisé en contrées concentriques. Sans l’ensemble de ces différents territoires, il serait impossible d’obtenir de futurs organes tels que nous les connaissons. La région la plus interne est l’endoderme. Elle est entourée du mésoderme. Sur l’anneau le plus externe s’étendent les cellules de l’ectoderme, futur siège des neurones. Ultime frontière entre l’embryon et le monde extérieur, les cellules de l’ectoderme n’ont jamais eu beaucoup de contact avec leurs comparses de l’organisme. Par cette conformation ancestrale, elles protègent du terrible Albumen les régions les plus profondes de l’embryon. En effet, ce liquide inquiétant a pour seul but d’instaurer Spina Bifida, une ère ténébreuse qui mettrait en grand danger le suprême gallinacé. Le destin de l’ectoderme et de toutes les autres contrées serait entravé et la formation de ce fameux tube neural que vous apprendrez à connaître serait altérée.

Être une cellule de l’ectoderme signifie grandir entourée de ses sœurs et partager une même mission. Frodine était née avec sa sœur jumelle d’une mère célibataire. Elle attachait une grande importance aux liens familiaux. Les cellules du mésoderme, Frodine ne les enviait point. Celles-ci menaient une vie sans attache, car contrairement à Frodine et ses sœurs, elles ne disposaient pas du pouvoir de la claudine, une protéine fabuleuse. Les protéines sont de grosses molécules fabriquées par les cellules et nécessaires à leur fonctionnement. Par leur enchantement, les différents types de claudines permettent aux cellules de l’ectoderme de rester soudées et de former un rempart face au monde extérieur.

Les claudines, enchantées par une force magique puissante et mystique, permettent en effet d’unir les cellules de l’ectoderme via des jonctions serrées, zones d’attache entre cellules, qui rendent la barrière formée par les cellules parfaitement imperméable. Au travers de leur membrane cellulaire, véritable peau des cellules, passe ce fil d’Ariane de claudines, les liant les unes aux autres. Plus précisément, les cellules ectodermiques sont capables de produire les claudines 3.

Un beau matin, un courant apporta de terribles augures. La prophétie d’un effroyable désastre fut murmurée. On raconta que des mouvements de constriction se propageaient. D’une force inouïe et d’origine inconnue, ils oppressaient les régions mitoyennes. Les cellules ne le savaient pas encore mais c’était le début de la grande prophétie de la Neurulation. Ce processus de développement de l’embryon permettrait alors la formation de contrées nouvelles qui, dans un futur proche, donnerait naissance au système nerveux du gallinacé suprême.

Tout commença par une force colossale et sans précédent qui semblait étendre l’horizon des cellules de l’ectoderme à l’infini. En même temps, elles sentaient leurs corps s’allonger, encore et encore. Ces mouvements mettaient en péril leur cohésion, seule garante de l’intégrité de l’embryon. Frodine tentait tant bien que mal de rester accrochée à ses voisines afin de ne pas se laisser emporter. Aucune d’entre elles ne comprenaient ce qu’il se passait. Toutefois, les cellules restaient soudées coûte que coûte grâce à leur puissant pouvoir, celui conféré par la magie de la claudine.

Pour survivre à ce cataclysme, Frodine décida d’augmenter la production des claudines pour renforcer les liens qui l’unissaient aux autres cellules. Ces dernières décidèrent de suivre les directives de Frodine. Grâce à la magie des claudines, les cellules restèrent soudées et firent vaillamment face aux forces obscures. Néanmoins, elles ne purent empêcher des changements irréversibles dans le paysage de leur contrée. Celle-ci arborait maintenant une unique vallée bordée de pentes douces. Frodine contemplait les changements du haut d’une des pentes, désemparée. Elle savait au plus profond d’elle que ces bouleversements ne s’arrêteraient pas là et qu’il fallait se préparer aux épreuves à venir.

Le calme était enfin revenu, mais les cellules avaient été bouleversées par ces changements morphologiques. Toutefois, il fallait continuer de repousser l’Albumen.

Frodine avait entendu les ancêtres parler d’un pouvoir ancien, scellé au plus profond de chaque cellule. La légende disait qu’il permettrait à Frodine d’unir toutes les cellules afin de les protéger de l’Albumen. C’était le pouvoir de la claudine 8, une forme proche mais différente de la claudine 3. On disait que cette magie portait une part d’ombre. Seules les cellules possédant les mêmes claudines avaient la capacité de se lier entre elles. Mais Frodine n’y pensait pas et réveilla ce pouvoir antique. D’autres cellules décidèrent de la suivre. Au bout d’un entraînement sans répit, un bon nombre d’entre elles acquirent les claudines 3 et les claudines 8. Avec ces deux claudines, Frodine pensait que les liens entre cellules seraient renforcés. Toutefois, rien n’était moins certain…

Alors que la vallée se creusait sous l’action des forces frappant l’ectoderme, Frodine mis son plan à exécution. Les cellules exprimant les claudines 3 et 8 formèrent un lien pour protéger les autres. Frodine se sentait puissante, faisant rempart à l’empire de l’Albumen, protégeant sa contrée et tout son peuple. Mais elle était loin de se douter que les conséquences néfastes de la claudine 8 commençaient à se manifester… Certaines cellules arrêtaient peu à peu de produire la claudine 3. Lorsqu’elle s’en rendit compte, dans un élan d’héroïsme, Frodine saisit les cellules ne possédant plus que les claudines 8. Elle qui avait encore les deux claudines était désormais l’une des seules à pouvoir protéger l’embryon.

Nul n’aurait reconnu la plate et douce contrée après ces terribles événements. De mémoire de cellule, rien de tel ne s’était jamais produit mais pour le moment, leur seul et unique but était de protéger leurs comparses des tissues intérieurs.

Malgré toute la volonté de Frodine, la tension ne cessait de s’accroître. Dans un élan de désespoir, alors qu’elle pensait lâcher, afin de protéger les cellules autour d’elle de l’Albumen, elle s’écria : “Fuyez pauvres folles!”.

Mais pour les autres cellules, il n’était pas question de fuir. Plus que jamais, encouragées par la bravoure de Frodine, elles restèrent soudées. A l’horizon se profilait une masse immense qui se rapprochait dangereusement. Frodine, sentant que le pouvoir de la claudine ne lui permettrait pas de tenir indéfiniment, prit une décision difficile mais néanmoins nécessaire : se laisser emporter par les tensions pour rejoindre la masse immense. Si les cellules de l’ectoderme arrivaient à s’y attacher, elles pourraient ainsi empêcher l’albumen de pénétrer à l’intérieur de la vallée creusée dans l’embryon. Quelle ne fut pas sa stupeur quand elle réalisa que cette masse était composée d’autres cellules ! Celles-ci, comme Frodine, appartenaient à l’ectoderme, brandissant leurs claudines avec le même désespoir ! Sans le savoir, Frodine permettait l’accomplissement de la prophétie de la Neurulation.

Dans un élan de courage, elle exposa ses claudines 3 et 8 et attrapa les jonctions de la première cellule du monticule. Même si elle parvenait à s’accrocher et fermer la vallée, elle n’aurait pas la force de continuer à produire la claudine 3 éternellement. Sa magie faiblissait déjà.

Elle s’aperçut alors que l’ectoderme se séparait en deux domaines distincts. En dessous d’elle les cellules qui l’avaient suivie et ne produisaient plus que la claudine 8 se retrouvaient coincées dans la vallée : elles ne verraient plus jamais l’extérieur. Ces cellules faisaient désormais partie de l’ectoderme neural. De l’autre côté de l’ectoderme, à la surface de l’embryon, se trouvaient les cellules qui n’exprimaient que la claudine 3. Ces cellules formaient maintenant l’ectoderme non neural. Quant à Frodine, vidée de toute force, elle se trouvait à la jonction de ces deux domaines.

La collision entre les deux côtés de la vallée généra un impact dont la violence fut au delà de l’envisageable. Tout l’ectoderme fut soulevé par un tremblement tissulaire. Dans la pagaille, les cellules se fracassèrent les unes sur les autres.

La nouvelle architecture de l’ectoderme semblait irréelle. Une arche de cellules, imposante et effroyable, faisait planer son ombre sur les cellules à claudine 8. Les cellules s’en serviraient pour protéger l’organisme de l’empire de l’Albumen et empêcher l’avènement de l’ère de Spina Bifida. Dans un élan de bravoure, Frodine lia ses dernières claudines libres, soudant l’arche une fois pour toute. Frodine était désormais confrontée à son destin : il lui fallait céder au pouvoir de la claudine 8 et abandonner la claudine 3. Ainsi, elle rejoindrait l’ectoderme neural, origine du système nerveux, prodigieuse arborescence qui permettrait l’envol et la cognition supérieure du gallinacé. Elle laisserait derrière elle ses soeurs de l’ectoderme non-neural, progéniteur de la peau si croustillante du gallinacé.

Ensembles, les cellules avaient réussi à repousser l’empire de l’Albumen et à accomplir leur mission. Ensembles, elles avaient scellé l’arche en unissant leurs pouvoirs. L’organisme était sauvé. Toutefois, un grand accomplissement est toujours accompagné de conséquences terribles. Mais Frodine accepta son sort, et elle laissa le feu de la claudine 3 s’éteindre en elle, pour rejoindre à jamais l’ectoderme neural.

Des milliers de générations plus tard, les cellules se rappellent du temps ancien où l’ectoderme se souleva, chantant les louanges de ses héroïnes. Parmi elles figure bien sûr Frodine la Vaillante. Dans leur grande sagesse, les cellules réalisèrent que ces bouleversements avaient été en réalité les fondements de leur nouvelle civilisation, et qu’elles avaient à merveille effectué leur rôle de rempart face à l’albumen et aux menaces du milieu extérieur. Ainsi était leur réel destin.

Bien que différentes, les cellules de la peau (provenant de l’ectoderme non neural), des nerfs (cellules migrantes de l’ectoderme) et du système nerveux (l’ectoderme neural) exécutent désormais avec passion leur fonction, pour qu’un jour vous puissiez à votre tour transmettre leur histoire, puisqu’en fin de compte, nous ne somme pas si différents du suprême gallinacé.

N’oubliez jamais qu’au départ, vous aussi devez la vie à cette unique cellule face au reste du monde.

Toutes les illustrations présentes dans ce billet ont été réalisées par Anaïs Vertueux et Léa Doré.

Références:

Webographie :