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Savez-vous que 85 ans après sa mort, la tombe de Marie Curie est toujours radioactive ? Si vous vous en approchez, faites attention : ces radiations peuvent causer des dégâts dans votre ADN… Pas de panique ! A faibles doses, vos cellules ont les outils nécessaires pour les réparer.

Avertissement des éditeurs

C’est au fin fond de la bibliothèque de l’Université Paris Diderot qu’ont été retrouvés les manuscrits de cette pièce de théâtre. Nous les publions sans rien y changer. A notre connaissance, aucune étude n’existe concernant la détresse qu’ont pu ressentir les cellules de Marie Curie. Il se peut donc que cette mise en scène soit un pur produit de fiction… Ce qui n’enlève rien à sa pertinence scientifique !

PROLOGUE

En 1894, Marie Curie a 27 ans et commence à travailler dans le laboratoire de l’Ecole Supérieure de Physique et de Chimie de Paris (ESPCI). Ce lieu est en réalité un hangar abandonné, qui servait de salle de dissection à l’école de médecine du coin. Pas tout à fait à l’abri de la pluie (le toit en verre était perméable), suffocant en été et glacial en hiver, son mobilier se réduit à quelques tables en pin, des fours, et des brûleurs à gaz. Ce laboratoire de fortune, dont le chimiste W. Ostwald dit qu’il tient “à la fois de l’étable et du hangar à pomme de terre” [1], est pourtant l’endroit où Marie Curie passe les meilleurs jours de sa vie, entièrement dévouée à son travail. [2]

En effet, ces conditions vétustes n’empêchent pas Pierre et Marie de parvenir à extraire deux éléments à l’origine du rayonnement d’un minerai, en 1898 : le polonium et le radium. Avec les travaux d’Henri Becquerel sur l’uranium (1896), c’est la découverte de la radioactivité !

Cette découverte, couronnée par un prix Nobel en 1903, est immédiatement récupérée par les publicitaires. A cette époque, les dangers de la radioactivité ne sont pas encore connus…

C’est seulement en 1927 que le généticien Hermann Joseph Muller découvre les effets nocifs des radiations, en particulier les risques de cancer. En attendant, Marie Curie passe des heures dans son laboratoire, entourée de bouteilles radioactives :

“Il nous arrivait de revenir le soir après dîner pour jeter un coup d’œil sur notre domaine. Nos précieux produits pour lesquels nous n’avions pas d’abri étaient disposés sur les tables et sur des planches ; de tous côtés on apercevait leurs silhouettes faiblement lumineuses, et ces lueurs qui semblaient suspendues dans l’obscurité nous étaient une cause toujours nouvelle d’émotion et de ravissement.”

Marie Curie, évoquant les années 1899-1900

Aujourd’hui, nous savons que les rayonnements radioactifs sont capables de casser notre ADN, support de l’information génétique présent dans toutes les cellules sous forme d’une hélice double brin. Puisque Marie Curie était quotidiennement exposée à ces rayonnements, comment a-t-elle pu continuer à mener ses expériences si longtemps ?

A travers cette pièce de théâtre, plongeons au niveau microscopique et voyons comment réagissent les molécules d’ADN exposées aux radiations…

Acte I

1er mécanisme de réparation :
NHEJ, ou la jonction d’extrémités non homologues

 “C’était un travail exténuant que de transporter les récipients, de transvaser les liquides et de remuer des heures la matière en ébullition dans une bassine de fonte. Le soir, j’étais brisée de fatigue !”

Marie Curie, évoquant ses journées de travail des années 1895

Personnages

ADN, une molécule porteuse de l’information génétique de Marie Curie
Ku, protéine capable de reconnaître les cassures d’ADN
DNA-PKcs, protéine kinase
Ligase IV, protéine ligase capable de recoller l’ADN cassé
XRCC4, protéine aidant Ligase IV dans sa tâche

Scène 1 : “Marie, ces Radiations me cassent les brins !”

ADN [alors que Marie Curie entre une énième fois dans son laboratoire, une nuit, pour observer ses bouteilles lumineuses.]

Ah non, pas encore ! Va te coucher ! Ce n’est pas possible, je ne veux pas que tu t’approches de ces objets, ils me font mal. Aïe ! Encore une cassure double brin… Oui ma p’tite Marie, chacune de mes molécules contient deux brins complémentaires enroulés en hélice, et les rayonnements ionisants de tes bouteilles sont si puissants qu’ils cassent les deux brins en même temps : ce sont des DSBs pour “Double Strand DNA break”, qui rompent la liaison entre deux phosphates de mon squelette… Dans cet état, je crie, je pleure, je râle si fort que ma cellule arrête de se diviser. Tu m’entends, Marie ?! Sors de ton laboratoire, j’ai maaal !

ADN avant… Et après une cassure double brin © BOURDON Marie

Ku [inquiet]

ADN ! Que t’arrive-t-il ? Tu es dans un sale état dis-moi !

ADN [se retournant vers Ku, surpris]

Tiens donc ! Vous me dites quelque chose. Nous sommes-nous déjà rencontrés ? Ma mémoire m’échappe ces derniers temps…

Ku

Mais oui, souviens-toi, je suis la protéine Ku ! J’ai détecté que tu avais encore subi des cassures double brin – et c’est sans doute ce qui cause tes trous de mémoire. Mais rassure-toi, je suis là pour t’aider.

Fixation de Ku sur les cassures double brin © BOURDON Marie

ADN [soulagé]

Tu peux m’aider ! Mais c’est extraordinaire ! Comment vas-tu faire ?

Ku

Je connais d’autres protéines spécialisées dans le recollage d’ADN cassé comme toi. Je vais les appeler !

ADN

Donc… Toi, tu ne fais rien du tout ?

Ku [vexé]

Mais quelle insolence ! Sans moi, aucune réparation ne pourrait avoir lieu, je te rappelle !

[Se mettant soudainement à crier] DNA-PKcs ? Tu es là ? J’ai besoin de toi ici et maintenant­ !

DNA-PKCs [accourant, suivi de près par Ligase IV et XRCC4]

Que se passe-t-il Ku ?!

Ku

Regarde dans quel état est notre ADN ! J’ai besoin de toi : puisque tu es une kinase, c’est-à-dire une enzyme capable de phosphoryler le groupe OH d’acides aminés particuliers, tu devrais pouvoir nous aider…

Fixation de DNA-PKCs sur Ku © BOURDON Marie

DNA-PKCs [observant ADN]

Bien sûr, nous ne pouvons pas laisser ADN comme ça ! Ma capacité à phosphoryler est une signalisation que je déclenche en cas de force majeure, et il me semble bien que…

XRCC4 [Se rapprochant du groupe ADN-Ku-DNA-PKCs et coupant DNA-PKCs]

Ku et DNA-PKCs, vous voilà ! Je suis content de vous voir. Laissez-moi vous donner un conseil d’ami : ne tombez jamais amoureux d’une collègue de travail… Si vous saviez comme Ligase IV me fatigue avec ses sautes d’humeur : sans moi elle ne sait pas rester en place, c’est une enzyme trop instable. Que ce soit au boulot ou le soir à la maison, elle a constamment besoin de moi…

Ligase IV [levant les yeux au ciel]

Ah non, tu ne vas pas recommencer à te plaindre ! Tu connais le burn-out ?! Eh bien voilà, j’en fais un en ce moment : ADN casse trop souvent, à cause de Marie qui reste des heures dans son laboratoire.

Arrivée de la Ligase IV et XRCC4 au niveau des cassures double brin © BOURDON Marie

DNA-PKCs

Oh là, on se calme ! Nous ne pouvons pas laisser ADN comme ça, faites un effort, et activez-vous un peu au lieu de vous disputer. Tenez, pour que vous puissiez travailler, je vous donne à chacun un groupe phosphate.

Activation de la Ligase IV et de XRCC4 par DNA-PKcs © BOURDON Marie

Ligase IV [observant mieux ADN, elle s’apitoie son état]

Oh, il est vrai que notre pauvre ADN est un peu… [ADN gémit] A l’agonie !

[Se tournant vers XRCC4] Mon chéri, laissons nos histoires de couple en dehors de ça. Soyons professionnels ! Concentrons-nous sur notre travail : j’ai besoin de ton aide pour m’installer autour du brin d’ADN, ce n’est pas très stable. Je vais rafistoler tout ça !

XRCC4 [reprenant son sérieux]

Tu as raison. Ne t’inquiète pas, je suis là et vais te guider. [Marmonnant] Ce n’est tout de même pas facile d’occuper un poste de gestion en ayant ma femme sous mes ordres…

[XRCC4 Rapproche tout ce complexe d’amis (DNA-PKCs, ADN, et Ligase IV), de l’endroit où ADN est cassé. Comme son nom l’indique, Ligase IV a un pouvoir de “ligature”, c’est-à-dire de réparation !]

Ligase IV et XRCC4 phosphorylés et actifs © BOURDON Marie

Réparation de la cassure par la Ligase IV © BOURDON Marie

Acte II

2ème mécanisme de réparation : La recombinaison homologue, ou comment compter sur son frère

” Premier principe: ne jamais se laisser abattre par des personnes ou par des événements.”

Marie Curie, lettre de novembre 1888

Personnages :

ADN, une molécule porteuse de l’information génétique de Marie Curie
ADN Homologue, molécule comportant les mêmes gènes qu’ADN
Complexe MRN-CtIP, complexe protéique avec une activité nucléase
RPA, protéine ayant une affinité pour les simples brins
RAD51, une protéine recombinase capable de trouver une homologie de séquence
Polymerase, enzyme qui rajoute des acides nucléiques
Ligase, protéine qui va recoller les fragments d’ADN

Scène 1: “Ca va nous coûter un brin cette histoire…”

[Un autre jour, alors que Marie Curie débouchait l’une de ses bouteilles lumineuses…]

ADN et son homologue © BOURDON Marie

ADN [déprimé]

Ah, ADN Homologue, tu es là… Ne me regarde pas, je vais mal, mes brins sont encore cassés… Je perds de plus en plus d’information génétique. Comment vais-je pouvoir coder des protéines si je perds cette information ? Et si je ne peux plus coder des protéines, je ne sers plus à rien dans la cellule ! Je ne sais plus quoi faire…

ADN Homologue [paniqué]

Que dis-tu, frangin ? Non, tu ne peux pas m’abandonner ! [Regarde de tous côtés] Mon dieu, que dois-je faire ?! A l’aide ! Quelqu’un ? N’importe qui… Sauvez-le !

ADN [toujours déprimé]

Ça ne sert à rien, il n’y a plus d’espoir. Je vois déjà le groupe NHEJ plusieurs fois par jour…

Complexe MRN-CtIP [attiré par les cris d’ADN Homologue]

Mais que se passe-t-il ici ? [Remarquant la cassure d’ADN] Wow ! C’est une belle cassure que voici…

ADN Homologue

Oui, mon frère “jumeau” a de plus en plus de cassures à cause des éléments radioactifs que manipule Marie Curie.

Complexe MRN-CtIP

Des frères “jumeaux” ? Je me disais bien que vous vous ressembliez ! Vous êtes ADN homologue ?

ADN Homologue

Oui, exactement ! Lui et moi sommes très similaires : on a les mêmes gènes. Vous savez, dans chaque cellule, les chromosomes sont présents par paire : chacun a son frère ‘‘jumeau’’.

ADN [toujours et encore déprimé]

La différence entre nous, c’est que mon frère n’est pas cassé, lui.

Complexe MRN-CtIP

Mais dans ce cas, c’est parfait ! Nous pouvons réparer votre cassure ! [Le complexe protéique se parlant à lui-même] On active le programme : recombinaison homologue !

[ADN et ADN homologue sont interloqués]

Complexe MRN-CtIP

Eh bien quoi ? Vous ne savez pas ce qu’est la recombinaison homologue ? ADN, ce programme consiste à réparer ta cassure en se servant de l’information génétique intacte de ton frère, ADN Homologue, afin de la recopier chez toi.

ADN

Comment allez-vous faire ça ?

Complexe MRN-CtIP

Grâce à notre activité nucléase, nous pouvons couper l’ADN et ôter les deux extrémités de la cassure double brin.

ADN Homologue [ouvrant de grands yeux]

Mais vous êtes fous ! Vous allez créer des extrémités 3’ sortantes. C’est dangereux pour nous d’avoir des simples brins !

Extrémités 3’ sortantes © BOURDON Marie

ADN

[A ADN Homologue] J’ai peur des exonucléases, ne les laisse pas manger mes brins !

[Au complexe MRN-CtIP] Pitié ne faites pas ça, j’ai peur des exonucléases, elles raffolent de nos acides nucléiques, et une fois qu’elles commencent on ne peut plus les arrêter ! Je suis trop jeune pour être mangé ! S’il vous plaît !

Complexe MRN-CtIP

[Formant tranquillement des extrémités 3’, ignorant les supplications d’ADN]

Voyons voyons, personne ne sera mangé ! Nous allons vous soigner et tout se passera bien.

RPA

[Bousculant tout le monde pour se diriger vers les extrémités 3’ sortantes d’ADN.]

Ohoh, des extrémités 3’… Attention, j’arrive ! Laissez passer !

ADN Homologue et ADN [paniqués]

AHHHHHH UNE EXONUCLEASE !

ADN Homologue

Ne mangez pas ses brins, pitié ! Prenez les miens à la place !

RPA

Non merci, je ne veux pas de tes doubles brins : je préfère les simples. D’ailleurs, rassure-toi, je ne suis pas une exonucléase, je suis RPA. Je stabilise et protège les extrémités 3’ sortantes.

Fixation de RPA et MRN-CtIP sur les cassures double brin © BOURDON Marie

[Alors qu’ADN et ADN Homologue se calment un peu suite à cette bonne nouvelle, RAD51 entre en scène]

RAD51

Allez allez, Monsieur le Complexe MRN-CtIP, votre travail est terminé. Monsieur RPA, il est temps de partir aussi. A moi de m’occuper de cette cassure double brin.

[Se tournant vers l’assemblée] Bonjour à vous tous, je suis RAD51, une protéine recombinase. A cet instant, me voilà enroulé autour des simples brins de monsieur ADN.

Fixation de Rad51 sur les extrémités 3’ sortantes © BOURDON Marie

Scène 2 – Qui se ressemble s’assemble

ADN

Je ne comprends pas du tout comment vous allez pouvoir me réparer…

RAD51

[En aparté] Pourquoi faut-il toujours que je m’occupe des simples d’esprit…?!

[S’adressant de nouveau à ADN] Monsieur ADN Homologue est votre frère jumeau, n’est ce pas ?

[ADN acquiesce]

RAD51

Monsieur ADN Homologue, vous êtes bien l’HOMOLOGUE de monsieur ADN ici présent ?

[ADN Homologue acquiesce]

RAD51 [d’un ton autoritaire]

Fort bien. Monsieur ADN Homologue, il me faut l’accès à votre séquence nucléotidique.

ADN Homologue [indigné]

Comment ça, ma séquence nucléotidique ? Et pour quoi faire ? C’est quoi ces manières ? [ADN supplie son frère du regard. ADN Homologue, se ravisant] Bon… D’accord, c’est bien parce que c’est pour toi… Ma séquence est à vous. Mais… Vous ne nous avez toujours pas expliqué comment vous alliez pouvoir le réparer !

RAD51

Décidément, vous n’êtes vraiment pas très malins, tous les deux. Monsieur ADN, lorsque vos brins se sont cassés, vous avez perdu une partie de votre séquence ; tandis que Monsieur ADN Homologue, lui ne l’a pas perdue ! N’est ce pas ? [ADN hoche lentement la tête, d’un air triste.] Je vais donc chercher dans son génome la partie manquante, et reconstruire vos brins, exactement comme si aucune cassure n’avait eu lieu.

ADN [émerveillé]

Mais… Vous êtes un génie !

RAD51

Effectivement, je suis un génie. Mais trêve de bavardage : mettons-nous au travail ! Venez avec moi Monsieur ADN : je dois chercher une homologie entre vos extrémités 3’ sortantes et les brins de Monsieur ADN Homologue.

[RAD51, qui recouvre les deux simples brins d’ADN, pousse l’un des deux brins à s’infiltrer à l’intérieur d’ADN Homologue, à la recherche d’une homologie.]

Insertion d’une extrémité 3’ sortante de l’ADN au sein de l’homologue © BOURDON Marie

ADN Homologue [poussant un petit cri de surprise]

Oh ! Mais que faites-vous ?

RAD51

Eurêka, j’ai trouvé !

Scène 3 – 1, 2, 3 allongeons les brins ! 4, 5, 6 Collons les parties ! 7, 8, 9 ADN tout neuf !

RAD51 [toujours infiltrée dans ADN Homologue, s’impatientant]

Mais enfin, où est Madame Polymérase ? Et d’ailleurs, pourquoi est-ce que l’on est toujours en train d’attendre tout le monde ?

Polymérase [entre sur scène en trottinant]

Et un, et deux, et trois… Et un, et deux, et trois… Et me voilà ! Je suis une ADN polymérase. Je m’excuse, je m’occupais d’un autre ADN : lui aussi avait des cassures dans son génome. Je… [Reprenant son souffle] Je n’arrête pas en ce moment ! Bon, qu’avons-nous là cette fois ?

RAD51

Pour votre information, le programme “recombinaison homologue” a été activé. Dépêchez-vous de vous mettre au travail, il faut reproduire la séquence en acides nucléiques perdue de Monsieur ADN.

Polymérase [tout en s’étirant]

Pas de problème. Je peux allonger ce brin !

ADN Homologue

Loin de moi l’idée de vous contredire, mais nous sommes déjà en position allongée !

Polymérase [riant]

Voyons, je ne parle pas de la position ! J’ai la capacité d’allonger les brins d’ADN, c’est-à-dire que je vais utiliser la complémentarité de tes bases nucléiques pour ajouter les bons acides nucléiques au bon endroit, et reconstituer les parties manquantes d’ADN. Bref : c’est parti pour une DSBR ! Allez, ne traînons pas !

ADN [interloqué]

Elle vient de dire quoi là, la madame ?

RAD51 [s’impatientant toujours]

DSBR ? [Avec un superbe accent british] Double-Strand Break Repair, ou réparation cassure double brin, en français, voyons. [Lève les yeux au ciel] Qu’apprend-t-on aux jeunes, de nos jours ?

Homologie trouvée entre ADN et Homologue © BOURDON Marie

Polymérase [toujours débordante d’énergie]

Hop hop hop ! Pas de temps à perdre ! ADN, maintenant que tes deux brins endommagés sont capturés, je vais pouvoir allonger les deux en même temps. Et on garde le rythme : et un et deux et trois… Et un et deux et trois…

[Polymérase lit le génome d’ADN Homologue et ajoute les acides nucléiques les uns à la suite des autres sur les brins d’ADN, qui retrouve petit à petit les parties manquantes de son génome.]

Polymérisation en copiant l’information de l’ADN homologue © BOURDON Marie

[Ligase entre en scène]

ADN

Tiens, tiens, une Ligase ! On ne s’est pas déjà rencontré ? Que faites-vous ici ?

Ligase [l’air évasif, comme si elle essayait de se souvenir]

Oh… Vous avez sûrement rencontré mon homonyme pendant une NHEJ. Ce que je fais ici ? J’attends que la polymérase ait terminé son travail pour que je puisse coller la partie réparée à la partie intacte. Mon rôle est très important, sans moi ADN resterait en deux morceaux !

Polymérase [interrompant Ligase]

Et voilà, j’ai terminé ! Je m’en vais, d’autres ADN m’attendent. Ce fut un plaisir de faire votre connaissance. [Polymérase s’éloigne en trottinant] Et un, deux et trois, et un, deux et trois…

Ligase

A mon tour de travailler ! [Après un certain temps, une fois les deux bouts d’ADN recollés, elle se frotte les mains, l’air satisfait] Voilà, c’est terminé, tu es réparé !

Acte III

Comment ADN dut anticiper son futur proche

“Mes yeux sont très affaiblis. Quant aux oreilles, un bourdonnement presque continuel, souvent très intense, les persécute. Peut-être le radium est-il pour quelque chose dans ces troubles. N’en parle à personne surtout, pour que le bruit se se répande pas.”

Marie Curie, à propos de son état de santé, lettre du 10 novembre 1920 [b]

Personnages :

ADN, une molécule porteuse de l’information génétique de Marie Curie
P53, protéine inductrice de la mort cellulaire (apoptose)
DNA-PKcs, protéine kinase
RAD51, protéine recombinase capable de trouver une homologie de séquence

Scène 1 – “ADN averti en vaut deux”

ADN

[Un autre jour, lors d’une énième expérimentation de Marie Curie, ADN se passant lentement la main sur le front.]

Ouh là là, comme je suis fatigué en ce moment…

P53 [entre en scène et tourne autour d’ADN en le fixant.]

Eh bien, ça ne va pas fort par ici ! Tu es cassé de partout mon pauvre ami… On a bien fait de m’en avertir.

ADN

Oui, ça ne va pas… Mais c’est passager. Mes protéines de réparation sont sur le coup, j’irai bientôt mieux.

P53

J’ai quelques doutes, tu n’es pas le seul à aller mal. Tu verrais tes cellules voisines, elles font peine à voir !

ADN [surpris]

Mes cellules voisines ? Je n’ai pas eu de nouvelles d’elles depuis bien longtemps !

P53

A vrai dire, c’est normal. La plupart d’entre elles sont malheureusement entrées en apoptose…

ADN [complètement paniqué]

Quoi ? L’apoptose ? La mort cellulaire programmée ? Mais c’est affreux ! Pourquoi se laisser mourir comme ça ? Et comment ?

P53

[prenant un ton de vieux sage]

Mon ami, ta propre cellule et toutes tes voisines font partie d’un organisme bien plus grand. En as-tu conscience ? [ADN hoche la tête.] Bien. Le problème, c’est que lorsque vous allez mal, c’est cet organisme tout entier, celui de Marie Curie, qui en paye les conséquences. Alors parfois, il vaut mieux se résoudre à laisser sa place à d’autres cellules qui vont mieux.

ADN

Peut-être, mais c’est terrible ! J’ai entendu les rumeurs [il frissonne] : notre cellule se réduit, se réduit… Nous perdons les contacts avec les autres cellules voisines et nous autres les ADN, nous nous condensons à l’extrême ! Sans parler de… [la terreur le prenant au corps, il s’arrête.]

P53

De ?

ADN [d’une voix blanche]

De l’affreuse grosse cellule cannibale qui vient nous manger quand elle voit notre membrane tomber en lambeaux !

P53

Oui, le phagocyte…

[En aparté] La phagocytose ou le cannibalisme cellulaire, c’est vrai que c’est plutôt impressionnant à voir : regardez-moi ça.

[S’adressant de nouveau à ADN] Mais enfin, une fois de plus : pense à Marie ! Tu imagines un peu si chaque cellule de son corps commençait à faire n’importe quoi ?

ADN

Ce serait le cancer !

P53

Hé oui ! Tu vois bien : l’apoptose, cette mort cellulaire que tu décris si tragiquement, elle sert à éviter les cancers. Si les cellules ne se coordonnent plus entre elles, ça signe la fin de l’organisme entier.

ADN [criant]

Je ne peux pas faire ça à Marie ! [Après une petite pause] Cela dit, si on peut éviter d’appeler le gros phagocyte mangeur de cellule…

P53 [débordant d’énergie]

Bon, c’est pas tout, mais j’ai du travail, moi ! Repose-toi bien et soigne tes cassures, sinon c’est l’apoptose assurée !

Scène 2“Houston, we have a problem”

ADN [entrant sur scène en traînant des pieds, toutes les protéines des complexes visant à le réparer s’agitant autour de lui]

[Marmonnant.] Radioactivité, radioactivité, radioactivité… [S’exclamant.] Mal ! [D’une petite voix.] Aïe.. [En relevant soudainement la tête.] Tout euh… Tout cassé ! [Repoussant les protéines.] Non ! Il suffit, ne m’approchez plus !

DNA-PKcs

Je panique, je panique… Les cassures s’accumulent, et je ne parviens plus à m’occuper de tout !

RAD51

Hélas, c’est pareil pour nous… Notre équipe ne s’en sort pas. Que faire ? [Criant, en direction de toutes les autres protéines.] Quelqu’un peut-il appeler du renfort ? Existe-t-il une autre protéine pour réparer Monsieur ADN…? [Agacé.] Pourquoi sommes-nous toujours les seuls à travailler, bon sang !

DNA-PKcs [tourne la tête de tous côtés, puis réalisent qu’elles n’obtiendront aucune réponse.]

Non. Vous le voyez bien, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

ADN [délirant]

Hahahaha vous aimez les blagues ? Qu’est ce qu’une protéine qui tombe à l’eau ? Hahaha, ben c’est une protéine kinase !!!

[Les deux protéines se regardent.]

RAD51 [consterné]

Ca suffit ! Cette situation n’a aucun sens, notre cellule tombe en lambeaux. Et puis, regardez l’état de Monsieur ADN… [Fixant ADN d’un air exaspéré] Il faut laisser la place à d’autres cellules, Marie n’a pas à subir les folies de cet énergumène d’ADN !

DNA-PKcs

Il est vrai, mais nous ne pouvons pas induire nous-mêmes l’apoptose, il nous faut des signaux… Oh, mais regardez qui approche ! P53, le facteur inducteur de l’apoptose : notre chère Marie n’a plus de souci à se faire !

Scène 3 – Ils vécurent cancéreux et eurent beaucoup de cellules

[P53 entrant sur scène, titubant et peu sûr de lui. Il semble avoir le hoquet.]

P53 [inspecte ADN qui est assis par-terre, occupé à gribouiller quelque chose sur le sol.]

Je ne te reconnais plus. Hic ! [ADN lève la tête et le regarde avec un regard vide.] Je vais hic !… Afin de déclencher l’apoptose de ta cellule, cette situation n’est plus gérable autrement, hic ! [Il s’éloigne un moment.] Mais enfin, qu’est ce que c’est que ça ! [Il fait un tour sur lui même, un peu comme un fou.] Quoi ? hic ! Que fais-je ici déjà ? [Reprenant ses esprits.] Ah oui ! Hic ! Le signal de l’apoptose ! [Il va vers ADN mais s’écroule à genoux à mi-chemin.] Hic ! Aïe aïe aïe, je ne suis plus bon à rien… [Il reste assis par-terre, loin d’ADN]

DNA-PKcs [s’adressant à RAD51]

Mais enfin, que fait-il ?

RAD51

Il a sûrement été muté… Il ne manquait plus que ça !

DNA-PKcs

Quoi ? Muté ? Vous voulez dire qu’il n’est plus capable d’assurer sa fonction ?!

RAD51

Exactement : ADN est cassé, la cellule se porte mal ; et lui, le seul qui pouvait y changer quelque chose, qui pouvait y mettre fin, n’est plus fonctionnel !

DNA-PKcs

Mais alors, ça veut dire que nous allons devenir une cellule cancéreuse ?

Toutes les protéines de tous les complexes, l’ADN et P53 [en choeur]

Nous aurons fait ce que avons pu ! Les cassures se sont accumulées et l’ensemble des systèmes de réparation des DSB n’a pas été suffisant. A cause d’une exposition trop importante aux éléments radioactifs, un cancer – plus précisément une leucémie, aura raison de Marie Curie, le 4 juillet 1934.

[Toutes les protéines quittent la scène, la tête basse, et il ne reste qu’ADN.]

ADN

Mon histoire est à présent terminée, mais celle de la recherche et des découvertes, certainement pas !

Acte IV

HP1 : et la recherche continue !

“Sans la curiosité de l’esprit, que serions-nous ? Telle est bien la beauté et la noblesse de la science : désir sans fin de repousser les frontières du savoir, de traquer les secrets de la matière et de la vie sans idées préconçues des conséquences éventuelles.”

Marie Curie, discours prononcé en 1933 à Madrid

Personnages :
ADN, une molécule porteuse de l’information génétique de Marie Curie
HP1, protéine impliquée dans les réparations des cassures d’ADN, étudiée par le Dr. Dubrocki

[HP1, peu sûr de lui, entre en scène]

ADN [surpris]

Euh… Je suis en train de faire un adieu larmoyant au public mon cher : toutes les autres protéines doivent être en coulisses !

HP1 [regardant tout autour de lui d’un oeil intrigué]

Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ?

ADN [au public]

Ah, un illuminé ! Qui me coupe dans mon monologue ! [S’adressant à HP1] Tu ne sais pas qui tu es ?

HP1

Non. On m’a découvert récemment. Le professeur Dubrocki m’étudie et essaye de déterminer mon rôle au sein de la cellule…

ADN [le coupant]

Tout cela est bien joli mon ami, mais là, vraiment, je n’ai pas le temps : je dois jouer la fin de cette tragédie.

HP1 [grommelant et s’en allant, en traînant des pieds]

Je m’en vais. De toute façon, je suis sûr que personne n’a besoin de moi pour réparer des cassures doubles brins.

ADN [ouvrant des yeux ronds]

Attends attends, ma petite protéine ! Tu as dit que tu pouvais réparer des cassures doubles brins ? C’est ce qui a eu raison de moi !

HP1[s’arrêtant et relevant la tête]

Mais oui ! Lorsque tu te casses quelque chose, je peux intervenir !

ADN

Comment ça ?

HP1

Si l’on en croit les publications récentes, il me semble qu’après avoir détecté tes blessures, une phosphorylation me transforme et me permet d’appeler d’autres protéines pour stabiliser ton état…

ADN

Et la suite ?

HP1

Elle reste à découvrir !

FIN

BIBLIOGRAPHIE :

Articles :

[A] “Fonction des suppresseurs de tumeur PALB2 et BRCA2 dans la réparation des cassures double-brin de l’ADN”, Rémi Buisson et Jean-Yves Masson, “Med Sci” (Paris), Mars 2013 ; Volume 29, Number 3, 301-307

[B] “Rôles des paralogues de RAD51 humains dans la recombinaison homologue et le maintien de la stabilité du génome en mitose”, Amélie Rodrigue, Thèse 2011

[C] “Function of heterochromatin protein 1 during DNA repair, Eva Bártová et al., Springer-Verlag Wien 2017 ; DOI 10.1007/s00709-017-1090-3

[D] “DNA DSB repair pathway choice: an orchestrated handover mechanism”, A. Kakarougkas, MSc, PhD, and P.A. Jeggo, PhD, Genome Damage and Stability Centre, University of Sussex, Brighton, UK

[E] “Recruitment of Heterochromatin Protein 1 to DNA Repair Sites”, Miroslaw Zarebski, Elzbieta Wiernasz, Jurek W. Dobrucki, published online 28 May 2009 in Wiley InterScience, DOI: 10.1002/cyto.a.20734

[F] “Two stages of XRCC recruitment and two classes of XRCC foci formed in response to low level DNA damage induced by visible light, or stress triggered by heat shock”, Kamil J. Solarczyk and al., Division of Cell Biophysics Faculty of Biochemistry, Biophysics and Biotechnology, Jagielloniam University ul. Gronostajowa 7, 30-387 Krakow, Poland

[G] “A heterochromatin protein 1 (HP1) dimer and a proliferating cell nuclear antigen (PCNA) protein interact in vivo and are parts of a multiprotein complex involved in DNA replication and DNA repair”, Dominika O. Trembecka-Lucas & Jurek W. Dobrucki (2012), Cell Cycle, 11:11, 2170-2175, DOI: 10.4161/cc.20673

[H] “Human DNA Repair Genes”, Richard D. Wood, Michael Mitchell, John Sgouros and Tomas Lindahl, DOI: 10.1126/science.1056154 (5507), 1284-1289.

[I] “Réparation des cassures double-brin de l’ADN, un mécanisme peut en cacher un autre : la ligature d’extrémités non homologues alternative”, E.Rass et al., Cancer/Radiothérapie, Volume 16, Issue 1, Février 2012, Pages 1-10, https://doi.org/10.1016/j.canrad.2011.05.004

Sites internet :

[1] Wikipédia, Marie Curie (consulté en octobre 2018) https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Curie#Th%C3%A8se_de_doctorat,_d%C3%A9couverte_du_radium

[2] Futura Science, Reconnaissance des cassures double brin (consulté en octobre 2018) https://www.futura-sciences.com/sante/dossiers/genetique-reconnaissance-cassures-double-brin-adn-220/

[3] Gallica, documents de Pierre et Marie Curie (consulté en octobre 2018) https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&query=%28gallica%20all%20%22marie%20curie%22%29&lang=fr&suggest=0

[4] Médiathèque Jacques Baumel, Marie Curie (consulté en octobre 2018) http://www.mediatheque-rueilmalmaison.fr/IMG/pdf/Marie_Curie.pdf

[5] Interpro (consulté en octobre 2018) https://www.ebi.ac.uk/interpro/potm/2004_7/Page2.htm

[6] Owni (consulté en novembre 2018) http://owni.fr/2011/01/23/quand-les-produits-radioactifs-etaient-en-vogue/

[7] Science alert (consulté en octobre 2018) https://www.sciencealert.com/these-personal-effects-of-marie-curie-will-be-radioactive-for-another-1-500-years

[8] Marie Curie, une femme d’exception (consulté en novembre 2018) http://www.mediatheque-rueilmalmaison.fr/IMG/pdf/Marie_Curie.pdf

Livres :

[a] Marie Curie, Pierre Curie, Odile Jacob, 1996.
[b] Madame Curie, Ève Curie, éd. Gallimard, 1938
[c] Pierre Curie par Mme Curie, éd. PAYOT, PARIS, 1924