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Les poulpes, aliens de l’évolution ?

Depuis longtemps les céphalopodes (le groupe regroupant les poulpes, les seiches et les calmars) apparaissent comme d’étranges créatures de cauchemar dans l’imaginaire collectif. Rappelez-vous le mythe de Cthulhu de H.P Lovecraft, ou Victor Hugo écrivant dans “Les travailleurs de la mer” « si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’œuvre. » Mais que se cache-t-il derrière ces êtres aussi fascinants qu’effrayants décrits par le poète ?

Des maîtres dans l’art du camouflage

Victor Hugo nous parlait de monstres marins « arachnides par la forme et caméléons par la coloration ». Mais qui sont vraiment ces étranges êtres vivants dotés d’une capacité de camouflage extraordinaire ? Les poulpes gardent leurs secrets précieusement grâce aux cellules particulières de leur peau. Celles-ci forment trois couches : la plus proche de l’épiderme est composée de chromatophores, ce sont des cellules contenant des pigments, entourées d’une étoile de muscles. L’opacité de ces cellules est contrôlée par la contraction des muscles (donc commandée par le système nerveux), lorsque les muscles se contractent les chromatophores sont dilatés, les pigments sont plus étalés, le camouflage apparaît alors comme plus intense. Ainsi les chromatophores peuvent paraître plus ou moins foncées. Les poulpes peuvent donc jouer sur le mélange des 3 pigments différents  (rouge, jaune et brun) contenus dans ses chromatophores et l’intensité de leur couleur.

[Gif] Un poulpe se fixe à un rocher, en adaptant son camouflage pour se fondre parfaitement dans le décor

Il y a poulpe sous roche. Source

Mais cet expert du camouflage ne s’arrête pas là.

Sous les chromatophores se trouvent d’autres cellules indispensables au camouflage du poulpe : les iridophores. Ce sont des cellules très minces, capables de réfléchir la lumière à différentes longueurs d’onde, mais renvoyant principalement des couleurs bleues et vertes.

Non régulées par le système nerveux, ce phénomène de réflexion de la lumière semble se faire de manière spontanée chez la pieuvre, les iridophores sont iridescents, c’est à dire que comme les bulles de savons ou certains coquillages, ils changent de couleurs selon l’angle d’observation.

[Gif] Un colibri tourne la tête, selon sa position, son plumage n'a pas la même couleur

Le plumage iridescent d’un colibri. Source

En nuançant la contraction des chromatophores, les poulpes dévoilent plus ou moins les iridophores. La combinaison de ces deux types de cellules offrent aux céphalopodes la possibilité d’arborer des couleurs très variées et un camouflage unique.

La dernière couche, située sous les iridophores, est composée de leucophores, ce sont des cellules réflectrices elles aussi, mais contrairement aux iridophores, elles ne dépendent pas de l’angle d’observation et sont capables de renvoyer ou d’absorber le spectre complet de la lumière. Cela permet au poulpe de passer d’un blanc éclatant à un noir de jais. En réfléchissant la lumière, les leucophores créent un fond blanc, tel celui de la toile vierge d’un peintre. Cela permet d’accentuer l’intensité des couleurs provenant des chromatophores. Au contraire, elles peuvent aussi assombrir la peau du poulpe en absorbant la lumière qu’elles reçoivent.

[Gif] Un poulpe se camoufle, d'abord en blanc, puis change rapidement d'endroit en adaptant son camouflage

Du noir au blanc. Source

Si les capacités incroyables de camouflage du poulpe sont bien connues et leurs mécanismes relativement compris, il reste tout de même certains mystères autour du groupe des céphalopodes. Le poulpe ne possède dans ses yeux qu’une seule sorte de pigment sensible à la lumière, et ne devrait voir par conséquent qu’en noir et blanc. Il est donc légitime de se demander comment il peut adapter son camouflage en fonction de son milieu s’il n’est pas capable de distinguer les couleurs ?

Deux hypothèses principales ont vu le jour :  la première serait que le poulpe, à défaut de voir les couleurs, serait tout de même capable de les ressentir grâce aux cellules si particulières de sa peau. Mais comment ces cellules seraient elles capables de reconnaître les couleurs de leur environnement ? Le mystère reste à élucider mais certains chercheurs se sont penchés sur la question et proposent l’explication suivante.

Une protéine appelée opsine est présente dans les chromatophores et a un rôle important dans la détection de la lumière dans le règne animal en général, ce qui pourrait expliquer la capacité des poulpes à percevoir les couleurs par leur peau. Cependant à part la présence de cette protéine, les mécanismes qui pourraient expliquer la vision des couleurs grâce à la peau restent inconnus. Malgré les recherches, nous ne savons toujours pas si les opsines agissent simplement comme des capteurs de lumière ou si elles jouent un rôle (d’une manière encore inconnue) dans le camouflage des céphalopodes .

La seconde hypothèse est que le poulpe ne voit pas les couleurs, mais qu’il serait tout de même capable de les décomposer par l’accommodation de ses yeux. C’est le phénomène physique d’aberration chromatique : Avec ses pupille en forme de U, il capte le spectre entier de la lumière et décompose les différentes longueurs d’ondes en modifiant la distance entre sa rétine et son cristallin afin d’augmenter le pouvoir de réfraction. Mais le poulpe garde des secrets., En effet nous ne savons toujours pas comment il perçoit ces couleurs, ni comment il parvient à ajuster la focale de ses yeux. De plus la réactivité de son camouflage particulièrement rapide amène un doute sur cette hypothèse. En effet en passant par les nerfs optiques, la transmission de l’information ne peut pas être assez rapide.

Phénomène d’aberration chromatique illustré en image. Modifié de Stubbs & Stubbs, 2016

Le camouflage du poulpe lui permet de se dissimuler dans les fonds marins mais aussi d’imiter d’autres espèces marines. La pieuvre mimétique, Thaumoctopus mimicus, par exemple serait capable de prendre l’apparence de plus d’une dizaine d’espèces marines afin de se faire passer pour un prédateur ou simplement pour une espèce n’intéressant pas les prédateurs qu’elle croise.

 

Un serpent des mers, un poulpe imitant son prédateur. Source

Mais assurer la survie de poulpe n’est pas le seul rôle que joue le camouflage. Cette coloration de la peau lui permet aussi de communiquer avec les autres ! Car si le poulpe est souvent solitaire, il lui arrive parfois d’aimer la compagnie de ses pairs. Par sa coloration, le poulpe reflète bien des émotions, de la colère noire à la peur blanche, son langage corporel saute aux yeux ! Un camouflage foncé serait signe d’intention agressive de la part du poulpe, alors qu’au contraire, celui-ci pâlit lorsqu’il est apeuré.

 

Les céphalopodes, redoutables par leur intelligence, vont même jusqu’à se servir du contrôle de leur couleur comme d’une arme. La seiche notamment joue de ses chromatophores pour hypnotiser ses victimes. Elle crée des motifs répétitifs aussi incroyables qu’envoûtants afin de rendre ses proies vulnérables avant de les tuer.

https://www.youtube.com/watch?v=K5CZ74ybnbE

Ces capacités d’utiliser le camouflage à leur avantage font d’ailleurs partie des raisons pour lesquelles les poulpes peuvent sembler si “intelligents”.

Les signes d’intelligence et les capacités cognitives

Crédit dessin : Lauryne Edimo

Si on définit l’intelligence comme la capacité à s’adapter et à complexifier son comportement en fonction des événements et de son environnement, alors  on devrait considérer que les céphalopodes sont intelligents. Le camouflage, l’utilisation d’outils, les capacités de mémoire, d’apprentissage et de communication sont autant de signes de cette intelligence.

Aujourd’hui on compte 200 espèces de poulpes sur l’ensemble du globe, toutes munies de ces capacités cognitives développées. L’internalisation, voire la disparition totale de leur coquille les laisse sans défense. Ainsi leur principal moyen de lutter contre les prédateurs devient leur peau capable de changer de couleur. Mais ne vous y trompez pas ! Les poulpes comme la plupart des céphalopodes sont aussi de petits coquins et utilisent leurs capacités de transformation pour charmer les femelles ou les voler à d’autres, au choix…

Crédit dessin : Guillaume Peugnet

Voyez-vous lors de la période de reproduction certains mâle peuvent arborer une couleur caractéristique des femelles d’un côté de leur corps pour dissuader un autre mâle d’attaquer, pendant que sur l’autre face il arbore une couleur attrayante pour les femelles afin de les séduire. Et cela simultanément s’il vous plaît !

Une seiches double-face Tel Janus un mâle Sepia plangon vu à droite sur la photo présente d’un côté une coloration attrayante pour une femelle (à gauche) et de l’autre une couleur caractéristique d’une femelle, face à un rival (non montré ici).  Source 
crédit photographie : © Martin Garwood

Ce phénomène est plus simplement observable sur les seiches et les calmars car pendant l’accouplement le mâle dépose une poche blanchâtre remplit de spermatozoïdes censé s’accrocher à un endroit précis sur la femelle. Or lors d’une expérience servant à différencier les femelles, des mâles, des poches blanches ont été observées sur ces derniers…Ce qui n’est pas censé arriver. De plus l’emplacement spécifique de cette poche exclu l’hypothèse de l’auto-déposition. Ce qui prouve bien que l’accouplement mâles/mâles est bien présent chez ces espèces. Néanmoins ce processus peut s’avérer dangereux car si l’autre mâle en question découvre le pot aux roses gare au courroux du poulpe !

Chasseurs agiles et rapides grâce à leur siphon (qui est un système de propulsion utilisé via le contrôle du flux d’eau passant dans l’organe), ils sont capables de rediriger leur direction très rapidement en raison des mouvements rapides d’entrée et de sortie de l’eau. Les poulpes peuvent aussi adapter leur technique de chasse en fonction de la proie : s’il s’agit de poissons ou de crustacés, le poulpe optera pour la paralysie à l’aide d’un poison sécrété par ses glandes salivaires (s’il en possède car certains poulpes n’ont pas cet avantage et se servent simplement de leurs mandibules cornées comme de couteaux). Si c’est un mollusque il percera un trou dans la coquille grâce aux mandibules cornées afin d’en aspirer le contenu.

Les cellules de leurs peaux permettent aux poulpes de détecter les différences de luminosité et ainsi trahir la présence de proie potentielle au alentour. Dès l’œuf les seiches possèdent, elles aussi, cette capacité. En effet selon une expérience réalisée qui consistait à exposer des embryons de seiches à des crabes ou des crevettes pendant au moins une semaine avant l’éclosion, pour voir si elles étaient capable de déterminer les aliments susceptibles d’être disponibles dans le milieu après l’éclosion. On a constaté que les seiches exposées aux crabes avaient tendance à les chasser et inversement pour les seiches exposées aux crevettes. Cela montre que les seiches sont non seulement capables de percevoir des stimulations visuelles de leur environnement depuis leurs œufs mais aussi capable de les mémoriser et de les traiter après éclosion. On appelle cela l’apprentissage visuel embryonnaire.

En plus de cette vision incroyable le poulpe, grâce à ses capacités d’apprentissage phénoménales et sa très bonne mémoire, est capable par imitation d’apprendre les gestes d’un semblable afin d’ouvrir un bocal pour s’en libérer ou se nourrir de son contenu (crabe, crevette…).

[Gif] Un poulpe est enfermé dans un bocal, et il réussi à dévisser le bouchon depuis l'intérieur

L’ouverture d’un bocal par un poulpe. Source

Dans certains cas les poulpes préfèrent utiliser leurs bras couverts de ventouses qu’ils peuvent utiliser avec une grande précision notamment pour construire leur tanières. Car comme on dit: “on n’est jamais mieux servi que par soi-même”. D’ailleurs, d’après le magazine Quartz on aurait découvert que certaines espèces de poulpes vivant en communauté ont construit des “villes souterraine”. Et à ce jour deux “villes” ont été retrouvées: Octopolis et Octlantis. Mais ce n’est pas pour autant que l’utilisation d’outils est exclue. Par exemple des noix de coco ou des coquilles échouées assez grandes peuvent leur servir de camouflage ou d’abris. Un poulpe a d’ailleurs été filmé en train de récupérer des noix de coco rejetées par la mer pour s’y cacher des menaces extérieures.

[Gif] Un poulpe marche au fond de l'eau en transportant deux moitié de noix de coco

Le transport d’une noix de coco par un poulpe, et son utilisation. Source

En résumé les céphalopodes sont donc capables de déduction, de mémorisation et d’apprentissage.

On pense souvent qu’une intelligence développée va de pair avec un système nerveux (et donc un cerveau) complexe. Et il s’avère que les céphalopodes possèdent bien les deux (comme pourrait le suggérer leur nom). En effet, leur système nerveux est centralisé, mais a pour particularité de présenter des parties autonomes. La partie centrale du système est protégée par la coquille interne (une structure rigide présente sous la peau dont l’épaisseur, la composition, ou le simple fait de la présence ou non, varie entre les espèces de céphalopodes), et est subdivisée lobes multiples (nombre variable selon les espèces, 38 lobes au maximum chez les poulpes). Ces lobes sont des zones que l’on reconnaît selon les régions du corps et les activités qu’elles contrôlent. Mais cette centralisation n’empêche pas les neurones (les cellules nerveuses) présents dans les bras d’être autonomes et très développés, ainsi le poulpe peut facilement faire des mouvements complètement différents, mais synchronisés, avec ses bras (Essayez de vous brosser les dents tout en vous rasant/épilant, c’est pas si facile pour nous).

[Gif] Un poulpe marche hors de l'eau en se tirant grâce à ses bras

L’agilité du poulpe lui permet aussi de se déplacer sur terre. Source

Un génome ingénieux

Les poulpes sont étranges, ils ont des comportements peu ordinaires, mais en plus, ils font n’importe quoi avec leur génome ; Il a tellement été malmené par les aléas de la nature que leurs chromosomes se sont fragmentés.

Plusieurs familles de gènes ont été démesurément agrandies, comme celle des protocadhérines (des molécules permettant d’assembler les neurones, le développement des axones, la mise en place des synapses… Tout un tas de fonctions assez utiles pour avoir un cerveau efficace). On trouve par exemple 168 gènes codant pour ces molécules chez le poulpe, alors que chez l’huître (qui est un proche parent du poulpe), on n’en trouve qu’une petite vingtaine.

D’autres familles de gènes se sont étendues, mais cette fois-ci à cause de l’activité d’éléments transposables, ou transposons (des séquences d’ADN qui ont la capacité de faire des copies d’elles même pouvant s’insérer n’importe où dans le génome). Ceux-ci peuvent être néfastes (en « cassant » un gène après s’être inséré en plein milieu par exemple), mais on sait aussi qu’ils ont des conséquences très importantes dans l’évolution, en induisant des changements et des mutations qui peuvent parfois s’avérer avantageuses (mais c’est très rare). C’est un peu comme une foule d’ouvriers stagiaires pas très malins qui font pleins de modifications au pif et qui vous forcent à tout reconstruire, et puis d’un coup vous avez une idée de génie et vous profitez du bazar pour reconstruire quelque chose de mieux.

Dans notre cas, les transposons ont donc causé l’expansion de la famille des C2H2 ZNF (qui interviennent lors du développement embryonnaire, et comme tous les gènes qui interviennent à cette période de la vie, ils sont très importants si vous ne voulez pas vous retrouver avec deux têtes, trois derrières ou huit bras…). Pour cette famille de gènes aussi, le poulpe devance un bon nombre d’animaux tels les bivalves (eux aussi sont des parents du poulpe) avec presque deux mille gènes contre une ou deux centaines.

Crédit dessin : Guillaume Peugnet

Mais le nombre de gène n’est pas forcément le plus important, les poulpes ont aussi développé une capacité étonnante et cette fois-ci, ce ne sont plus leurs gènes qui sont bidouillés. Les gènes (qui sont faits d’ADN), sont transcrits en ARN messagers puis traduits en protéines (les molécules à tout faire du vivant). Et ce qui est impressionnant, c’est que chez le poulpe, La séquence de ses ARN messagers peut être modifiée en remplaçant un nucléotide par un autre (les nucléotides ce sont les lettres A, T, G et C qui permettent d’encoder l’information génétique). C’est ce qu’on appelle la correction de séquence génomique.

[Gif] Schéma très simplifié de comment les gènes sont exprimés grâce à la transcription de l'ADN en ARN puis de la traduction de l'ARN en protéine

Schématisation de l’expression des gènes. Source

Alors il est vrai que chez l’humain aussi on retrouve ce phénomène mais c’est un mécanisme très rare chez les vertébrés en général, et qui n’a pas beaucoup d’impact. En effet un mammifère fait environ quelques centaines de corrections sur un ARN. Mais surtout sur des parties de l’ARN qui ne seront pas utilisées pour fabriquer des protéines. Et chez le poulpe ? (Attention, veuillez ravaler votre fierté d’humain, vous allez vous sentir un peu ridicule) On estime que le nombre de corrections oscille entre 80 000 et 130 000 sur chaque ARN. Et cette fois-ci, majoritairement sur des endroits qui serviront à la production de protéines.

Très bien, maintenant je pense qu’il serait utile que je vous dévoile les conséquences de toutes ces corrections. Ce mécanisme ne se produit pas n’importe où, il se trouve qu’il s’effectue massivement dans les tissus nerveux, et il en résulte une diversité phénoménale des protéines impliquées dans le système nerveux. Seulement, petit problème, les molécules qui font ces corrections ont besoin de reconnaître toute la séquence autour de l’endroit à modifier. Donc s’il y a eu un changement à proximité, les poulpes ne pourront plus modifier leur ARN.

Vous voyez où je veux en venir ? Cela veut dire que le prix à payer pour la correction de séquence ARN à haut débit, est d’abandonner un génome souple et flexible, capable de se modifier à la suite de mutations. Mais c’est un sacrifice qui est largement rentabilisé ! En effet modifier son ARN plutôt que son ADN permet de s’adapter beaucoup plus vite et dans une bien plus large mesure. Par exemple on suppose aujourd’hui que ces mécanismes ont permis de produire des protéines très diverses, certaines fonctionnant mieux à basse température, et d’autres à haute température. Cela aurait permis aux poulpes de s’adapter aussi bien aux eaux tropicales qu’aux eaux polaires, conquérant ainsi toutes les mers du globe.

Voyez donc l’ingéniosité du poulpe, de sa manipulation des noix de coco, jusqu’à la manipulation de son ADN, rien n’échappe à ses ventouses et la pieuvre nous étonne toujours par ses solutions sinueuses et tentaculaires.

Faux génies ou Phylogénie ?

Entre leur peau extraordinaire, leur intelligence et leur système nerveux développés, il n’est pas étonnant que dans l’imaginaire les pieuvres, telles qu’elles sont nommées par Hugo, apparaissent comme des monstres, des créatures étranges érigées en êtres mythologiques et extraterrestres, symboles même de l’horreur, incarnés parfaitement par le Grand Ancien Cthulhu. Ainsi il ne manquait plus que les poulpes aient un génome étrange pour que les complotistes ou les créationnistes puissent penser qu’ils ont vraiment une origine extraterrestre. Ce qui prouverait que les poulpes sont inclassables parmi les autres êtres vivants, et… Ils l’ont fait. Ou du moins ils ont essayé… Pourtant, les poulpes et autres céphalopodes sont aujourd’hui bel et bien classés dans l’arbre du vivant, au sein du groupe des mollusques. Comme les escargots. Ou les moules. Vous ne voyez pas le rapport ?

Crédit dessin : Guillaume Peugnet

L’apparence des poulpes et des autres mollusques peuvent certes sembler très différentes, mais ce n’est pas pour autant qu’il est impossible de les classer ensemble, car la classification du vivant est établie selon la parenté génétique des espèces étudiés.

Mais alors, comment peut-on être sûr que deux espèces sont parentes ? Grâce à des caractères spécifiques présents chez ces deux espèces. Par exemple les escargots, poulpes et autres mollusques possèdent une radula (une sorte de langue dentée leur servant de râpe), et un manteau (un tissu sécrétant des structures formant une coquille et dont le bord intérieur définit une cavité (dite palléale)). Ces caractères partagés sont l’illustration de la proximité de ces espèces et de l’histoire évolutive qu’elles partagent. Et certains de ces caractères sont l’illustration de l’adaptation à des conditions spécifiques de leur environnement de vie. Et l’on peut donc remonter l’histoire évolutive des poulpes grâce aux caractères qu’ils partagent avec les autres espèces et avec les autres êtres vivants en général (ces caractères pouvant être la présence commune de certains organes, de ressemblance cellulaire ou d’organisation ou même des ressemblances au niveau des séquences moléculaires…).

Ainsi les poulpes sont bien des mollusques malgré les caractères spécifiques des céphalopodes faisant d’eux des “mollusques dérivés” (par exemple la possession de leurs fameux bras (huit pour les poulpes, mais contrairement à ce que l’on dit familièrement, aucun tentacule, car ce sont deux “bras supplémentaires” spécifiques aux calmars et au seiches, et qui n’ont pas la même forme), la présence d’une poche à encre et d’un siphon, tous deux dans la cavité palléale, avec l’entrée des voies  respiratoires, génitales et anales (on plaint le poulpe asthmatique atteint de diarrhée).

Alors les poulpes, des aliens ?

Ainsi ce sont les conditions imposées par la vie sous marine, si différentes des nôtres qui ont amené l’apparition de caractéristiques étranges et encore peu comprises chez les céphalopodes. Bien que le mystère plane toujours autour du fonctionnement de certaines de ces caractéristiques, ils sont le fruit de l’évolution et non pas des aliens venu envahir nos océans.

Plus de vulgarisation sur les poulpes ?

Des articles en français :

William Rowe-Pirra. 2016, Juillet 2016). Comment les céphalopodes voient les couleurs… sans les voir. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-comment-les-cephalopodes-voient-les-couleurs-sans-les-voir-37315.php

Parlons peu parlons science. (2016, octobre 5). La vie en couleurs des céphalopodes. http://www.parlonspeuparlonscience.com/spip.php?article334

Gros, A. (2017, octobre 16). L’image de la semaine : «L’intelligence des céphalopodes». https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/aux-frontieres-du-cerveau/limage-de-la-semaine-lintelligence-des-cephalopodes

Goux, P. par J.-P. (2010, juillet 12). L’intelligence du poulpe. http://lesieclebleu.blogspot.com/2010/07/lintelligence-du-poulpe_12.html

Dumas, C. (2011, septembre 22). La drôle de vie sexuelle du calmar. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/la-drole-de-vie-sexuelle-du-calmar_6701

Nicobola, (2011, novembre 23). Ne sous-estimez jamais les mollusques….  http://fish-dont-exist.blogspot.com/2011/11/ne-sous-estimez-jamais-les-mollusques.html

Des articles en anglais :

Yong, E. (2015, mai 20). Octopuses, and Maybe Squid, Can Sense Light With Their Skin. http://phenomena.nationalgeographic.com/2015/05/20/octopuses-and-maybe-squid-can-sense-light-with-their-skin/
Nield, D. (2015, Mai 22). Octopuses Are Able to « See » With Their Skin, New Research Finds http://www.sciencealert.com/octopuses-are-able-to-see-with-their-skin-new-research-saysx

Creationists are now actively propagating the claim that octopuses are aliens. (2015, septembre 9). https://freethoughtblogs.com/pharyngula/2015/09/09/creationists-are-now-actively-propagating-the-claim-that-octopuses-are-aliens/

Vidéos

C’est pas sorcier (2003) Poulpes fiction : https://www.youtube.com/watch?v=7YxsCCj5NC8

Deep Look. (2015, Septembre 8). You’re Not Hallucinating. That’s Just Squid Skin. | Deep Look. https://www.youtube.com/watch?v=0wtLrlIKvJE

Et pour les plus courageux

Articles scientifiques sur le génome et mécanismes génétiques du poulpe :

Albertin, C. B., Simakov, O., Mitros, T., Wang, Z. Y., Pungor, J. R., Edsinger-Gonzales, E., … Rokhsar, D. S. (2015). The octopus genome and the evolution of cephalopod neural and  morphological novelties. Nature, 524(7564), 220. https://doi.org/10.1038/nature14668.

Alon, S., Garrett, S. C., Levanon, E. Y., Olson, S., Graveley, B. R., Rosenthal, J. J. C., & Eisenberg, E. (2015). The majority of transcripts in the squid nervous system are extensively recoded by A-to-I RNA editing. ELife, 4, e05198. https://doi.org/10.7554/eLife.05198.

Rosenthal, J. J. C., & Seeburg, P. H. (2012). A-to-I RNA Editing: Effects on Proteins Key to Neural Excitability. Neuron, 74(3), 432-439. https://doi.org/10.1016/j.neuron.2012.04.010.

Articles scientifiques sur la vision du poulpe :

Stubbs, A. L., & Stubbs, C. W. (2016). Spectral discrimination in color blind animals via chromatic aberration and pupil shape. Proceedings of the National Academy of Sciences, 113(29). https://doi.org/10.1073/pnas.1524578113

Articles scientifiques sur le camouflage du poulpe :

Wood, J., & Jackson, K. (2012). How cephalopods change color. Consulté à l’adresse http://thecephalopodpage.org/cephschool/HowCephalopodsChangeColor.pdf.

Ryan Gilmore, B.S.  Robyn Crook, J. L. K. (2016). Cephalopod Camouflage: Cells and Organs of the Skin | Learn Science at Scitable à l’adresse https://www.nature.com/scitable/topicpage/cephalopod-camouflage-cells-and-organs-of-the-144048968.

Article sur le système nerveux :

Koizumi, M., Shigeno, S., Mizunami, M., & Tanaka, N. K. (2016). Three-dimensional brain atlas of pygmy squid, Idiosepius paradoxus, revealing the largest relative vertical lobe system volume among the cephalopods. Journal of Comparative Neurology, 524(10), 2142‑2157. https://doi.org/10.1002/cne.23939

Phylogénie des Céphalopodes Coleoidea :

Strugnell, J., Norman, M., Jackson, J., Drummond, A. J., & Alan Cooper. (2004, décembre 9). Molecular phylogeny of coleoid cephalopods (Mollusca: Cephalopoda) using a multigene approach; the effect of data partitioning on resolving phylogenies in a  Bayesian framework. Consulté à l’adresse https://www.cs.auckland.ac.nz/~alexei/2005_Strugnell_etal.pdf.

Phylogénie des Céphalopodes Nautilus :

Bonnaud, L., Ozouf-Costaz, C., & Boucher-Rodoni, R. (2004). A molecular and karyological approach to the taxonomy of Nautilus. Comptes Rendus Biologies, 327(2), 133-138.  https://doi.org/10.1016/j.crvi.2003.12.004.

Article sur l’origine des Céphalopodes :

Kröger, B., Vinther, J., & Fuchs, D. (2011). Cephalopod origin and evolution: A congruent picture emerging from fossils, development and molecules. BioEssays, 33(8), 602-613. https://doi.org/10.1002/bies.201100001.

Phylogénie des mollusques :

Smith, S. A., Wilson, N. G., Goetz, F. E., Feehery, C., Andrade, S. C. S., Rouse, G. W., … Dunn, C. W. (2011). Resolving the evolutionary relationships of molluscs with phylogenomic tools. Nature, 480(7377), 364. https://doi.org/10.1038/nature10526 (consultable gratuitement sur ce fichier pdf : https://www.researchgate.net/profile/Gonzalo_Giribet/publication/51749110_Corrigendum_R esolving_the_evolutionary_relationships_of_molluscs_with_phylogenomic_tools/links/0fcfd50 fc6799bc49a000000/Corrigendum-Resolving-the-evolutionary-relationships-of-molluscs-withphylogenomic-tools.pdf)