Mots clés : Bionum, MEG
Etiquettes: apoptose, constriction, Drosophile, histoblastes, LEC, métamorphose, migration cellulaire, pupe
Co-écrit par El Hassan Faouzi, Anaïs Françon, Shona Gray–Switzman et Margaux Jotti
Parler de mission suicide pour un asticot peut sembler incongru… Et pourtant, elle est indispensable à l’apparition des structures complexes de la mouche adulte. Partons à la découverte du phénomène de la métamorphose.
Nous avons tous déjà vécu ce moment désagréable où l’on découvre que des moucherons ont fait de nos fruits 100 % biologiques leur garde-manger. Mais ne haïssez pas ces bestioles pour autant ! D’une, elles participent à la dégradation des déchets. De deux, les asticots – les larves de mouches – qui apparaissent dans vos fruits oubliés subissent un phénomène impressionnant de métamorphose. Pendant cette étape, 90 % de leurs cellules meurent afin d’être remplacées. Le pari d’aujourd’hui ? Titiller votre curiosité (au moins) et vous intéresser (au mieux) sur le moucheron en mettant en lumière quelques étapes cruciales de cette métamorphose.
Mais avant toute chose, apprenons à connaître la bête.
Zoom sur la drosophile
Commençons par une révélation choc: les moucherons sont « des espèces de mouches […] de petite taille, et non des bébés mouches » (définition véridique de wikipédia(1)). Il s’agit souvent de « mouches du vinaigre » alias drosophiles. Parmi elles, la plus étudiée en laboratoire et celle qui va retenir notre attention est Drosophila melanogaster. Le corps de cet insecte comprend trois parties: la tête, le thorax puis l’abdomen. Chaque partie est elle-même découpée en segments, illustrés ici :
Quelles sont les étapes permettant d’obtenir une drosophile adulte ? Déjà, un développement embryonnaire de 24 heures, suivi d’étapes larvaires qui prennent plus de temps, trois à quatre jours : une bonne partie du développement ! Et ça tombe bien, pendant cette période, la drosophile a vraiment un physique avantageux…
Qu’est-ce qui prend autant de temps ? Et bien, la larve subit trois mues. Bon, la mue dont il est question ici, ce n’est pas comme quand votre petit frère passe d’une voix fluette à une voix de baryton, mais plutôt une étape qui lui permet de grandir. Entre temps, elle ne fait que manger (oui oui, elle vit pour manger, la vie de rêve) afin de fournir l’énergie nécessaire à des événements de migration et de prolifération cellulaires intenses.
Lors de la dernière mue, l’asticot se recouvre d’une cuticule épaisse (on parle désormais de pupe) et réalise sa métamorphose(5) pendant cinq jours. Autrement dit, à l’image d’une chenille qui forme son cocon pour se muer en papillon, la larve devient une pupe pour se changer en mouche.
Le nombre d’étapes est tel que nous ne pouvons pas toutes les détailler. Pour ne pas inonder Bio Num avec trop de caractères, nous allons nous focaliser sur l’étape de métamorphose en nous concentrant sur la mise en place du futur abdomen.
Mais alors, quels sont les mécanismes qui entrent en jeu dans la formation de l’abdomen ?
Le Dr. Marcus Bischoff de l’université de St Andrews (7) se creuse les méninges sur cette question. Il s’intéresse aux cellules épithéliales larvaires (LECs) abdominales, c’est-à-dire les cellules en surface de l’abdomen, et à leur remplacement par les histoblastes.
Euh… C’est quoi les histoblastes ? Alors oui, quelques explications s’imposent : chez la larve, 90% des cellules de l’organisme sont des cellules larvaires (pas seulement épithéliales), tandis que les autres sont des histoblastes. Ces derniers sont des cellules qui peuvent se différencier, c’est-à-dire se spécialiser, en différents types cellulaires. Ils appartiennent principalement à des groupes de cellules répartis de manière organisée dans la larve, les disques imaginaux, qui donnent un ou plusieurs organe(s) spécifique(s) de la future mouche. Il en existe pour les yeux et les antennes, les ailes, les pattes… Plus spécifiquement, les histoblastes abdominaux (nos fameuses cellules qui vont prendre la place des LECs) se trouvent dans des nids sous les segments de l’abdomen. Si la mouche était un meuble en kit suédois, les disques imaginaux seraient toutes les pièces présentes dans le carton pour le monter correctement et la larve serait le carton qui finit par être jeté.
Après ce court intermède explicatif, on passe au vif du sujet: que ce passe-t-il lors du remplacement des LECs ? La réponse est simple : la larve s’auto-détruit. Voici à quoi ressemble le remplacement des cellules larvaires marquées avec une molécule fluorescente verte (GFP) :
Et cette étape de destruction massive se déroule en dix-huit heures top chrono. Accrochez bien vos estomacs…
LECxode : la migration des LECs
Les LECs sont réparties au niveau de la surface de l’épiderme de l’abdomen. Après le troisième stade larvaire, lorsque la pupe est formée, ces cellules vont commencer à migrer vers le côté postérieur, donc l’arrière de la pupe. Nous pouvons dire que c’est… LECxode (NDLR : ce n’est pas le terme scientifique). Ce mouvement est déclenché par une protéine sécrétée par les LECs et qui agit sur les LECs voisines. Cette protéine est nommée Dpp pour Decapentaplegic (bon à savoir si vous voulez épater la galerie) (10).
Pour se déplacer, elles utilisent le squelette de la cellule. Il est constitué d’un réseau de filaments formés notamment de molécules d’actine (11). Ce réseau est particulièrement abondant sous la surface de la cellule et peut contrôler la déformation de sa membrane ainsi que sa migration. Les filaments d’actine agissent en glissant les uns sur les autres grâce à une autre protéine, la myosine.
Sous l’action de ce squelette d’actine, la cellule forme des protubérances dites lamellipodia-like : « lamelli » signifie lamelle et « podia » pieds en grec ancien. Cela ressemble à un croissant qui s’étend dans le sens de migration et tire la cellule vers l’avant grâce au réseau d’actine/myosine.
Si vous voulez voir ce que ça rend en vidéo au microscope, cliquez ici !
En plus de ce mouvement, les LECs peuvent passer d’une migration postérieure à une migration dorsale. Marcus Bischoff suppute d’ailleurs que ce sont les histoblastes qui fournissent le signal de changement de direction des LECs en les poussant pendant qu’ils prolifèrent.
Et d’ailleurs, quand on parle du loup… Euh, des histoblastes… Que font-ils pendant ce temps ?
Le parcours des histoblastes
Les LECs ne sont pas les seules à migrer. Elles sont rejointes par les histoblastes. Après deux à quatre divisions cellulaires, ils sortent de leur nid sous les segments de l’abdomen pour le recouvrir en deux phases successives:
- Une phase dorsale : ils migrent vers le dos de la drosophile.
- Puis une phase antérieure : ils migrent vers la tête de la pupe, jusqu’à rejoindre les LECs. Attention, les histoblastes n’atteignent pas la tête mais restent dans l’abdomen !
LECxécution : la mort des LECs
Après ce périple intense, les LECs s’arrêtent et meurent. C’est… LECxécution (NDLR : ce n’est toujours pas le terme scientifique).
Lorsque les LECs atteignent le postérieur de la pupe, elles vont entrer en contact avec des histoblastes. Le rapprochement entre ces deux types de cellules va déclencher la mort des LECs. Les histoblastes produisent une molécule signal, l’Ecdysone(14), pouvant induire l’apoptose(15), c’est-à-dire la mort cellulaire programmée (16). Ceci signifie que la cellule qui reçoit le signal effectue un suicide (ahhh, on comprend mieux pourquoi on parle de cellules de larve kamikazes !).
A la réception de ce signal, le réseau d’actine subit des modifications. Si vous avez été attentifs, vous vous souviendrez que les microfilaments d’actine ont un rôle dans la déformation de la membrane plasmique. Et bien, ce réseau d’actine va se resserrer grâce à la myosine. Les LECs vont se détacher les unes des autres et se ratatiner sur elle-mêmes jusqu’à mourir. On parle d’une étape de constriction. Leurs cadavres seront nettoyés par des hémocytes environnants, cellules immunitaires des invertébrés.
La victoire des histoblastes
Les LECs ne sont plus. RIP. Mais séchez vos larmes chers lecteurs, des cendres renaîtra un phoenix ! En effet, l’espace libéré sera comblé par les histoblastes abdominaux. Ces derniers vont encore se multiplier, et enfin se spécialiser dans leur fonction de cellules épithéliales.
Nous voilà au terme de notre aventure. Les cellules larvaires ont totalement disparu et les histoblastes les ont remplacées. Comme il n’y a rien de mieux pour être sûr d’avoir tout compris, on vous récapitule le parcours de nos cellules dans un schéma final :
Au bout des quelques jours du stade pupal, la drosophile déchire son cocon et peut enfin voir le jour sous sa forme finale.
Alors ces moucherons, pas si insignifiants que ça ! Espérons que maintenant, quand vous verrez une drosophile, vous ne voudrez pas trop l’asticoter …
Sources
Pages internet
1. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Moucheron
2. Drosophila melanogaster par André Karwath https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=227149
4. Didier Pol © 1998-2003 : https://www.didier-pol.net/4chrgean.htm
5. Trois jeux de métamorphose http://bionum.univ-paris-diderot.fr/trois-jeux-de-metamorphose/
6. Image adaptée de L’élevage des drosophiles http://cyberaqua.free.fr/articles/droso.php
7. Laboratoire de Marcus Bischoff : https://synergy.st-andrews.ac.uk/bischoff/
8. Image adaptée de © M. Milán lab, IRB Barcelona. Author: Laura Boulan, https://phys.org/news/2013-03-mechanism-steroid-hormone-production-drosophila.html
9. Image adaptée de Imaginal discs of a third-instar larva and the corresponding body parts of the adult fly, Cell Biology Promotion http://www.cellbiol.net/layout/imagesBook/groot/22.11%20Notch%20Wing%20development.jpg
11. What are the lamellipodia and lamella? https://www.mechanobio.info/topics/cytoskeleton-dynamics/lamellipodium/
13. Image adaptée de Pupe de Drosophile en formation par Frederic Labaune http://www.lenaturaliste.net/forum/viewtopic.php?style=9&f=56&t=6861&start=290
14. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ecdysone
15. Cours : L’apoptose, une mort cellulaire programmée, https://www.ebiologie.fr/cours/s/13/l-apoptose-une-mort-cellulaire-programmee
16. The Interactive Fly © 1995, 1996 Thomas B. Brody, Ph.D. http://www.sdbonline.org/sites/fly/aimorph/histblst.htm#Extrinsic
Articles scientifiques
10. Lamellipodia-based migrations of larval epithelial cells are required for normal closure of the adult epidermis of Drosophila, Bischoff M, Developmental Biology, 2012, DOI:10.1016/j.ydbio.2011.12.033
12. Conversion de l’énergie chimique des plantes en énergie musculaire, De Leiris J, Boucher F, Tanguy S, Encyclopédie de l’energie, 2015 : http://encyclopedie-energie.org/articles/conversion-de-l%E2%80%99%C3%A9nergie-chimique-des-plantes-en-%C3%A9nergie-musculaire
17. Nonautonomous Apoptosis Is Triggered by Local Cell Cycle Progression during Epithelial Replacement in Drosophila, Nakajima Y Kuranaga E Sugimura K Miyawaki A Miura M,Molecular and Cellular Biology, 2011, DOI:10.1128/MCB.01046-10
18. Remodeling of adhesion and modulation of mechanical tensile forces during apoptosis in Drosophila epithelium, Teng X Qin L Le Borgne R Toyama Y, Development, 2017, DOI:10.1242/dev.139865
19. Cell rearrangements, cell divisions and cell death in a migrating epithelial sheet in the abdomen of Drosophila, Bischoff M Cseresnyes Z, Development, 2009, DOI:10.1242/dev.035410
20. Extrinsic and intrinsic mechanisms directing epithelial cell sheet replacement during Drosophila metamorphosis, Ninov N Chiarelli D Martin-Blanco E, Development, 2007, DOI:10.1242/dev.02728
Ouvrage
3. The Origins of Anterior-Posterior Polarity. Gilbert SF. Developmental Biology. 6th edition. Sunderland (MA): Sinauer Associates; 2000. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK10039/