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Un brin d’herbe, une feuille, ça ne paie pas de mine pas vrai? Et pourtant digérer un végétal est au-dessus des forces de votre système digestif. Chez la plupart des animaux, les plantes ça entre d’un côté, et ça sort de l’autre, Mais alors comment font les herbivores ? Bah ils ont un cheat code : leur microbiote intestinal. Déjà entendu parler de la puissance de la symbiose mutualiste? (Rien à voir avec spider-man). Voyons ensemble comment les herbivores digèrent ces végétaux pas si fragiles.

Des bûcherons dans le bidon

La symbiose mutualiste c’est quand deux espèces s’entendent tellement bien que parfois, elles ne peuvent vivre sans l’autre. On dit qu’il y a une relation mutualiste entre elles. Elles tirent toutes les deux des bénéfices de cette association. Et si je vous en parle, c’est parce que c’est le cas de la relation entre les herbivores et leur microbiote.
Un microbiote, c’est un ensemble de micro-organismes vivant chez un hôte. Ils peuvent vivre sans impacter la vie de l’hôte, ou être en relation mutualiste avec lui, avec des rôles qui dépendent de leur localisation chez l’hôte. C’est de ce dernier cas dont on va parler avec le microbiote participant à la digestion chez les herbivores.
Si cette symbiose existe, c’est que les animaux n’arrivent pas à digérer la cellulose par eux mêmes. Ne vous moquez pas, c’est du lourd la cellulose. Cette molécule particulière constitue la paroi des cellules végétales. La “brique” élémentaire qui la compose est le glucose. Le tout forme des fibres extrêmement résistantes. Pour exploiter ce glucose, il faut découper la cellulose, et ça, une seule enzyme en est capable : la cellulase (pas compliqué à retenir). Le problème, c’est que cette cellulase, presque aucun animal ne la produit par lui-même. Il faut donc la trouver autre part. Et c’est là que les microbiotes intestinaux entrent en scène.
Ah, les micro-organismes ! Ces joyeux petits compagnons invisibles qui font tout le boulot dans nos ventres. Les herbivores hébergent toute une équipe de mini-bûcherons à temps plein dans le ventre ! Intéressons nous au cas d’un animal que l’on connaît bien : la vache.

D’abord, son système digestif est un peu particulier. Vous avez peut-être déjà entendu dire qu’elle a quatre estomacs. Il serait plus correct de dire qu’elle en a un qui succède à trois autres compartiments, dont le rumen, où logent les micro-organismes impliqués dans la digestion. Imaginez vous dans un rumen : 39°C, du méthane, du CO2, un environnement acide. Tout ça c’est parfait pour nos bûcherons, très enthousiastes dans leur découpe. Le microbiote de ces animaux est extrêmement efficace, découpant les fibres de cellulose en glucides simples avec une efficacité qui rendrait jaloux n’importe quelle tronçonneuse. Qui sont ces micro-organismes ? Eh bien ce sont surtout des bactéries, mais aussi des archées (organismes unicellulaires procaryotes), des protozoaires (eucaryotes unicellulaires) et même des champignons. Ces organismes unicellulaires et microscopiques sont plusieurs milliards dans le rumen.

D’un côté, on a donc ces petits organismes. De l’autre, le ruminant qui les héberge. Mais en quoi y a t-il symbiose mutualiste? Une fois la cellulose découpée en petites briques de glucose, ces petits organismes les utilisent. Ils réalisent la fermentation de ces molécules pour en tirer l’énergie dont ils ont besoin. La fermentation, ça libère des gaz, comme le méthane et le CO2 (qui provoquent les fameux rots des vaches) mais aussi des acides gras volatils. Ces acides gras sont de petites molécules qui servent de source d’énergie principale au bovin. Les micro-organismes sont protégés et nourris dans le rumen, et l’animal qui les héberge, peut se nourrir autant qu’il le souhaite de son côté. Il s’agit donc bien d’un cas de symbiose mutualiste, car l’association, obligatoire, est bénéfique aux deux parties.

Voilà pour les grosses bêtes. Mais la taille, ça ne compte pas tant que ça, et les insectes nous le prouvent. Chez eux les micro-organismes sont tout aussi efficaces pour la digestion, et plus encore si on considère les termites. Ces derniers ont une particularité. D’abord, là où chez les ruminants la nourriture passe d’abord par les micro-organismes puis par l’estomac, c’est l’inverse chez les termites chez qui le microbiote est intestinal. Mais il y a mieux! Je vous ai dit plus haut que rares étaient les animaux qui produisaient eux-mêmes de la cellulase, eh bien les termites font exception !

Ils peuvent donc digérer la cellulose sans problème. Mais dans ce cas, à quoi peut servir leur microbiote intestinal? A digérer quelque chose de plus que la cellulose. En effet, c’est bien connu, les termites ajoutent du bois à leur menu. Le bois, au niveau moléculaire, c’est de la cellulose, mais renforcée grâce à une molécule : la lignine. Et les enzymes capables de la casser sont, sans trop de surprise : les ligninases. Là encore, ces enzymes ne sont pas produites par les animaux. Mais elles sont synthétisées par des bactéries et des protozoaires (encore eux). Les insectes qui grignotent le bois reçoivent donc l’aide de ces organismes. Et pour vous donner une idée de leur importance, si vous les enlevez à un termite, vous lui enlevez 40% de son poids!

Microbiotes et digestion chez les herbivores : Une longue histoire

Ces associations ne sont pas apparues hier. Malgré la difficulté d’en trouver des traces, les chercheurs pensent qu’elles accompagnent les animaux, notamment herbivores, depuis très longtemps. Et c’est notamment la coévolution observée qui va en ce sens. Kézako? La coévolution est un processus où l’évolution d’une espèce est influencée par une ou plusieurs espèces. Un exemple bien connu est celui des plantes à fleur et de la pollinisation par certains animaux. Les fleurs ont d’un côté développé des couleurs vives, attirant les pollinisateurs, ou encore des formes permettant de recouvrir de pollen l’animal venant se nourrir. Et, pas de jaloux, la morphologie des pollinisateurs a aussi été affectée, un exemple bien connu étant les colibris et leur bec si long, adapté pour aller chercher le précieux nectar au fond des fleurs de leur environnement.

Et dans le cas de la digestion chez les herbivores, on a là de très nombreux exemples de coévolution entre les animaux et les micro-organismes de leur microbiote.
Les micro-organismes ont influé au cours du temps non seulement sur le régime alimentaire des animaux, mais aussi sur leurs organes, ou encore leur système immunitaire. De l’autre côté, les micro-organismes se sont eux aussi adaptés aux conditions peu communes trouvées dans le système digestif des animaux. Tant et si bien, qu’aujourd’hui il y a certains micro-organismes qu’on ne trouve qu’au sein de microbiotes!
Ainsi, si on reprend l’exemple de notre vache et de son appareil digestif si particulier, son rumen est adapté à l’accueil des micro-organismes, et à l’absorption des nutriments qu’ils libèrent. Du côté du microbiote du rumen, les scientifiques ont pu démontrer que les le régime, la race ou encore le sexe des bovins a une influence sur les espèces présentes dans le microbiote de leur rumen. Espèces qui sont transmises à leur descendance.

Ce microbiote se transmet principalement de manière verticale, c’est-à-dire de la mère à sa progéniture. Dans le cas des mammifères, le petit reçoit les micro-organismes de sa mère au moment de la mise bas. Mais il en reçoit aussi lorsque sa mère s’occupe de lui. Parce que si on a parlé en long et en large du microbiote du rumen, il ne faut pas oublier les autres. Il y a un microbiote dans de nombreuses parties du corps de la vache. Le microbiote vaginal, par lequel passe le petit lors de la mise bas, le microbiote buccal avec lequel il entre en contact lorsque sa mère le lèche et enfin le microbiote des trayons, par où passe le lait que tète le veau. Toutes ces contaminations participent à former les microbiotes du petit, dont le microbiote du rumen.

Chez les insectes, les larves acquièrent leur microbiote de manières variées : nourriture contenant déjà les microbes nécessaires, milieu de ponte contenant ces microbes, ou alors plus directe, en mangeant les excréments des autres. Comportement néanmoins rare mais confirmé chez les termites qui acquièrent leur microbiote de cette manière.

Herbivores et micro-organismes : Le groupe vit bien

Vous l’avez compris, la digestion chez les herbivores, c’est quelque chose. Mais vous n’avez encore rien vu! Petit florilège de quelques espèces remarquables.

Les ruminants, précédemment évoqués, possèdent donc un rumen. La diversité d’espèces de micro-organismes qu’on y trouve est impressionnante. Et elle leur permet de mettre à leur menu des plantes un peu spéciales… En particulier le faux mimosa, qui lorsqu’il est digéré, libère une toxine. Mais ça ne dérange pas plus que ça nos bovins. La réponse est comme souvent dans leur rumen. Une espèce de bactérie (Synergistes jonesii) y a été découverte, et est très particulière : cette bactérie est capable de dégrader cette toxine. Ça tombe bien : le faux mimosa est très utilisé pour nourrir le bétail. Encore un joli cas de coévolution !

Dans le même genre, il y a Neotoma lepida, un rongeur d’amérique du nord, qui peut carrément manger des plantes toxiques. Ces petits rats du désert se nourrissent de créosotier, un arbuste qui se défend en produisant une toxine : la créosote. Mais ces petites bêtes n’en ont pas grand chose à faire visiblement. Ils mangent cet arbuste à longueur de journée et aux dernières nouvelles ils vont très bien. Vous avez deviné : encore une fois, des micro-organismes leur sauvent la mise. Non seulement ces derniers influencent leur régime alimentaire, mais il a en plus élu domicile dans une petite poche, un “pré-estomac” à l’abri de l’acidité. Il s’agit à nouveau d’un cas de coévolution, où un microbiote a influencé l’anatomie de son hôte!

Enfin, si on parle de tous ces animaux remarquables de par l’efficacité de leur microbiote, le cas inverse existe aussi… C’est-à-dire un animal avec un système digestif et un microbiote nul au possible en comparaison de celui des machines à digérer la verdure précédemment citées. C’est ce bon vieux panda géant. Se nourrissant à 99% de bambou, cet ours fait figure d’anomalie. Et c’est encore plus le cas quand on regarde ce qu’il a dans le ventre : rien! Du moins pas ce dont il aurait besoin pour digérer efficacement la cellulose du bambou. En effet, si son système digestif est plus proche de celui d’un carnivore, c’est aussi le cas de son microbiote. Il ne possède que très peu de micro-organismes capables de digérer les molécules végétales. Sa digestion de la cellulose est très inefficace, pour rester poli. Ainsi, là où les autres herbivores parviennent à digérer en moyenne 80% de leur nourriture, le panda lui atteint péniblement les… 17%!

Voilà qui explique pourquoi il passe sa journée à se gaver : il n’a tout simplement pas le choix pour pouvoir absorber suffisamment de nutriments.

Mais alors,le microbiote de ces pandas est-il inefficace à ce point ? Pas tout à fait. Une autre étude récente, qui implique des souris et des greffes d’excrément de panda (oui tout à fait) montre qu’il joue un autre rôle…

Quel intérêt à cette expérience loufoque? Eh bien si vous vous souvenez de la coprophagie des termites, vous voyez peut-être où on va… Les excréments de panda contiennent un peu de son microbiote intestinal. L’effet qu’il a eu sur les souris a permis aux chercheurs de conclure que ce microbiote garde le panda gros toute l’année! En effet, des chercheurs ont démontré que des souris qui avaient reçu des greffes d’excrément de panda prenaient du poids beaucoup plus facilement. Notamment quand ces excréments étaient récoltés au moment de l’apparition des pousses de bambou. Les scientifiques en concluent donc qu’au moment où les pousses de bambou apparaissent, la flore microbienne des pandas leur permet de stocker le plus possible de graisse, permettant ainsi de garder suffisamment de réserves pour l’année… en se nourrissant quasi exclusivement de quelque chose d’aussi peu calorique que le bambou!

Vous l’aurez compris, chaque microbiote aboutit à des résultats drastiquement différents : entre notre ruminant et son usine qui lui sert d’estomac, nos termites qui font du bois leur quatre heures, et le panda qui fait 17% aux élections. Conclusion : les microbiotes c’est comme une boîte de chocolats – on ne sait jamais sur quoi on va tomber, on sait juste qu’on va bien manger!

Bibliographie:

Articles de blogs/BD/vidéos/livres/magazines:

Meynadier, Annabelle. « La digestion ruminale des aliments ». Planet-Vie, 17 mai 2019, https://planet-vie.ens.fr/thematiques/animaux/systeme-digestif/la-digestion-ruminale-des-aliments.

Comment les vaches digèrent-elles ? – C’est Pas Sorcier. www.youtube.com, https://www.youtube.com/watch?v=-rkAKPX9Tfg.

Grémillet, D. (2023, 11 juillet). Bactéries et termites, un copinage vieux de 150 millions d’années. Libération. https://www.liberation.fr/forums/bacteries-et-termites-un-copinage-vieux-de-150-millions-dannees-20230712_NMIIETDLKJEVJAGTCSSLUZDPDI/

Sastre, P. (2022, 18 janvier). On sait enfin pourquoi le panda reste grassouillet alors qu’il ne mange que du bambou. Slate.fr. https://www.slate.fr/story/222308/pourquoi-panda-grassouillet-alors-que-mange-seulement-bambou-saisons-alimentation-microbiote-greffe-caca-souris

Bordons, A. (2015, 30 septembre). The giant panda is herbivore but has the gut microbiota of a carnivore. BIOS And Other Things. https://abordonseng.wordpress.com/2015/09/30/the-giant-panda-is-herbivore-but-has-the-gut-microbiota-of-a-carnivore/

Articles scientifiques :

Articles concernant les mammifères :

Allison, M. J., Mayberry, W. R., McSweeney, C. S., & Stahl, D. A. (1992). Synergistes jonesii, gen. nov., sp.nov. : A Rumen Bacterium That Degrades Toxic Pyridinediols. Systematic And Applied Microbiology, 15(4), 522‑529. https://doi.org/10.1016/s0723-2020(11)80111-6

Kohl, K. D., Weiss, R. B., Cox, J. E., Dale, C., & Dearing, M. D. (2014). Gut microbes of mammalian herbivores facilitate intake of plant toxins. Ecology Letters, 17(10), 1238‑1246. https://doi.org/10.1111/ele.12329

Moeller, Andrew H., et Jon G. Sanders. « Roles of the gut microbiota in the adaptive evolution of mammalian species ». Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, vol. 375, no 1808, septembre 2020, p. 20190597. PubMed Central, https://doi.org/10.1098/rstb.2019.0597.

Weimer, P. J. (2022). Degradation of Cellulose and Hemicellulose by Ruminal Microorganisms. Microorganisms, 10(12), 2345. https://doi.org/10.3390/microorganisms10122345

Xue, Zhengsheng, et al. « The Bamboo-Eating Giant Panda Harbors a Carnivore-Like Gut Microbiota, with Excessive Seasonal Variations ». mBio, édité par Jizhong Zhou, vol. 6, no 3, juillet 2015, p. e00022-15. DOI.org (Crossref), https://doi.org/10.1128/mBio.00022-15.

Huang, Guangping, et al. « Seasonal Shift of the Gut Microbiome Synchronizes Host Peripheral Circadian Rhythm for Physiological Adaptation to a Low-Fat Diet in the Giant Panda ». Cell Reports, vol. 38, no 3, janvier 2022, p. 110203. DOI.org (Crossref), https://doi.org/10.1016/j.celrep.2021.110203.

Li, Fuyong, et al. « Host genetics influence the rumen microbiota and heritable rumen microbial features associate with feed efficiency in cattle ». Microbiome, vol. 7, no 1, juin 2019, p. 92. BioMed Central, https://doi.org/10.1186/s40168-019-0699-1.

Articles concernant les insectes :

Brune, A., & Dietrich, C. (2015). The Gut Microbiota of Termites : Digesting the Diversity in the Light of Ecology and Evolution. Annual Review Of Microbiology, 69(1), 145‑166. https://doi.org/10.1146/annurev-micro-092412-155715

Lange, C., Boyer, S., Bezemer, T. M., Lefort, M., Dhami, M. K., Biggs, E., Groenteman, R., Fowler, S. V., Paynter, Q., Mogena, A. M. V., & Kaltenpoth, M. (2023). Impact of intraspecific variation in insect microbiomes on host phenotype and evolution. The ISME Journal, 17(11), 1798‑1807. https://doi.org/10.1038/s41396-023-01500-2

Ni, J., & Tokuda, G. (2013). Lignocellulose-degrading enzymes from termites and their symbiotic microbiota. Biotechnology Advances, 31(6), 838‑850. https://doi.org/10.1016/j.biotechadv.2013.04.005